Plaidoyer pour un tourisme intelligent
L’auteur pose notamment des questions sur l’avenir du Festif! Photo Archives
Beaucoup d’entre nous ont pu voir une émission reportage sur la tenue du Festif dans la ville de Baie-Saint-Paul. Si on s’en était tenu à l’ardeur de ses travailleurs qui en font le succès, on aurait pu l’apprécier davantage. Mais tout au long de ce reportage, on ne nous présente qu’un volet de l’histoire de l’évolution de cet événement durant les dernières années, du moins une version raccourcie. Lorsqu’on s’aventure dans le récit d’une histoire qui concerne une communauté, on se doit d’y aller en profondeur, d’y analyser tous les tenants et non n’en présenter qu’une facette afin d’éviter de fausses vérités. Les réalisateurs devraient retourner aux études en journalisme.
On nous apprend que dans son passé récent, sous forme de reproches, la Ville de Baie-Saint-Paul aurait choisi de lier son destin à des vendeurs de toiles. C’est pour le moins irrespectueux. En premier pour les artistes qui ont su nous faire apprécier la beauté de notre territoire et des valeurs qui ont animé ses habitants.
Ils auraient dû s’informer sur ce qui s’est passé dans les années 70 alors que le centre-ville de Baie-Saint-Paul avait des allures d’après-guerre suite à la construction du centre commercial. Il n’était en ce temps-là aucunement question ou presque de destination touristique pour cette ville dont l’économie reposait sur son hôpital et la Maison Mère. Nous n’avions qu’un panneau installé aux abords de la route nationale portant la mention « Baie-Saint-Paul, paradis des artistes » qui nous rappelait la beauté de notre coin de terre que des créateurs locaux ou de passage se plaisaient à peindre. Nous en éprouvions une grande fierté.
Ce fut justement par leur art que s’est manifestée sa transformation. D’abord par la naissance des galeries d’art, souvenons-nous de la première, celle de Clarence Gagnon, et des boutiques qui ont fait la notoriété de la rue Saint-Jean Baptiste puis de son centre d’art et surtout de l’exceptionnel apport de la grande dame que fut Françoise Labbé pour sa ville avec la création du centre d’exposition et de son symposium, le premier au Québec.
Pendant près de 30 ans, Baie-Saint-Paul a connu un développement d’un tourisme culturel dont les retombées se font sentir encore aujourd’hui. De cette période sont nés une nouvelle capacité hôtelière, de nouvelles tables alimentaires, mais surtout la diversité de notre économie. Dans ces années-là, les restaurants ne fermaient pas tôt en soirée. Nous étions devenus une grande destination touristique du monde des arts. Il n’était pas rare d’entendre à Montréal, même à Paris, qu’on y avait fait un séjour durant l’hiver ou l’été. Et tout cela on le devait à notre art de bien recevoir, mais surtout à l’art tout court et à ces vendeurs de toile dont on fait mention dans l’émission.
Il semble qu’on ait oublié bien vite ce passé. On a pu aussi entendre à cette émission qu’on avait changé avec l’arrivée du Festif de clientèle. Comme si avec quatre jours de festival de pleines rues à craquer, qu’on n’avait pu besoin du reste. Comme si tout cela, tout notre passé d’un tourisme culturel devait s’oublier. Quelle ingratitude, quelle inconscience! Je trouve cela presque méprisant.
Mais est-ce que le nouveau changement de créneau est ou sera aussi bénéfique pour la ville qui se dit toujours de culture que les arts visuels l’ont été? Là est le questionnement. Peut-être qu’à court terme qu’on s’en félicite, mais à long terme il faut y songer sérieusement.
Je tiens en premier lieu à mentionner qu’il n’est pas question d’être contre l’événement du Festif, mais à son avènement, à la façon de dire ou de faire en sorte qu’il n’y a plus place que pour le Festif.
Personnellement je veux souligner que je fus de ceux qui ont favorisé son déménagement au centre-ville et que je n’ai ménagé aucun effort pour convaincre ses organisateurs de s’installer dans ce qui est aujourd’hui la cour du musée. Il faut aussi rendre hommage à ces jeunes qui ont fait preuve de grands talents d’organisateurs. Leurs succès sont mérités. Personne ne soupçonnait au début de leur aventure qu’elle deviendrait d’aussi grande envergure.
Mais il y a un mais. Ce succès s’est accompli involontairement souvent aux dépends d’autres acteurs. On a vu des événements disparaître tels que Rêves d’automne ou d’autres s’affaiblir. Les ressources dans un petit milieu sont limitées et lorsqu’on concentre tous les efforts dans une seule voie, les autres chemins se ferment. Avec le support d’amis issus du milieu des affaires, on l’a priorisé, imposé.
J’avais personnellement suggéré au Festif de tenir leurs activités au début de l’été, avant le Festival d’été de Québec. Ce qui aurait eu pour effet d’allonger la période touristique.
Mais on a choisi les vacances de la construction, craignant de ne pas avoir suffisamment de festivaliers. Je persiste à croire que ce fut une erreur.
Nous assistons aujourd’hui à la production d’un grand festival qui mobilise argent, bénévolat et une main d’œuvre technique payée. Le Festif jouit d’une grande notoriété et la qualité de son organisation est reconnue par tous. Il faut les en féliciter. Est-ce que les retombées économiques sont importantes? Pour certains oui, pour d’autres non. La nature de sa clientèle ne se compare guère avec celle à laquelle nous étions habitués et qui ne dépense pas de la même manière. On nous affirme que sa clientèle reviendra plus tard lorsqu’elle aura vieilli. J’ajoute à cet énoncé qu’il y a plus de cents festivals au Québec : Baie-Saint-Paul était connue avant le Festif. Le Festif n’est pas Baie-Saint-Paul, Baie-Saint-Paul est le Festif.
Ce sont nos montagnes, ce mariage du bleu et du vert qui attire et continueront d’attirer. Suite à sa dernière édition, le Festif s’est posé publiquement la question : dois-je encore grandir? Du moins, c’est ce que j’ai entendu de la part de son directeur artistique.
Ma réponse est non et il doit se transformer, s’étaler, se produire avec moins de monde ou il disparaitra comme le défunt festival folklorique dont le milieu des affaires avait fait pression à l’époque pour qu’on allonge sa durée. Nous en reparlerons un peu plus loin.
Trop pourrait dire aussi assez. La pression sur la vie des résidents est énorme surtout sur la préservation de son environnement.
La mission initiale des jeunes organisateurs du Festif consistait entre autres à initier à la musique actuelle par l’événementiel. Objectif atteint.
Ces jeunes qui ne sont plus des jeunes ont certainement aujourd’hui pour préoccupation de consolider et d’en assurer la pérennité… Une des questions à laquelle ils seront confrontés, c’est à celle des nouvelles générations préoccupées par des questions écologiques, par les changements climatiques qui vont transformer nos sociétés. Ce n’est certainement pas avec plus de poubelles vertes ou un agenda 15 dont on se galvanise que l’on va arriver à leur faire avaler nos modes de consommation de masse. Il en faudra plus. Ils exigeront que nos gouvernements cessent d’avoir peur de prendre de vraies mesures. Ces derniers devront se positionner sur nos modes d’opération, dont celui de notre façon de faire du tourisme
Ma génération a voulu pour Baie-Saint-Paul une vocation touristique dans le monde des arts, celle du Festif lui a voulu la musique en partage, la prochaine génération aura pour souci majeur de sauver l’humanité.
Baie-Saint-Paul ne pourra recevoir tant de gens éternellement. La charge environnementale ne le permettra plus. Il y a eu des déversements d’eaux usées dans le fleuve dans le passé même si on tente de le cacher ou d’en diminuer l’importance. Devra-t-on le faire à nouveau, avec 45 000 visiteurs?
Est-ce aussi sain que cela d’avoir autant de gens dans la rue? Est-ce que le succès d’une destination touristique se mesure au nombre de personnes qui marchent dans une rue piétonnière? C’est presque devenu une obsession. Plus souvent qu’autrement les résidents dans ces grands moments les désertent.
Ce n’est pas une question d’âgisme, mais du droit de vivre avec sérénité. Un peu comme ceux qui ont les argents qui leur permettent de se réfugier dans les montagnes, éloignés de tous embêtements dont ceux du bruit et d’une circulation chaotique.
Je reviens avec cette notion de changement de clientèle qu’on a soulevé dans l’émission de Radio-Canada. Est-ce que Baie-Saint-Paul optera définitivement pour un tourisme de masse ou pour un tourisme plus étalé en toutes saisons, individuel, à la recherche de plusieurs formes d’art, dans un cadre de quiétude? La question se pose.
Si on regarde ce qui se passe actuellement, le créneau de la clientèle change, c’est vrai. Il faut le reconnaître. Baie-Saint-Paul est de moins en moins ce grand rendez-vous des arts visuels.
Notre ville a connu nous l’avons dit toutes sortes d’épopées. En 1967, on a créé le premier grand festival d’arts populaires au Québec, j’en fus le directeur et président. On a même mérité le titre de meilleure attraction canadienne de l’année en 1970. Après neuf années d’existence dans une atmosphère de débordement, il fut arrêté tel un criminel par le conseil de ville, lequel jeta un interdit d’existence sur toute autre fête du genre.
Puis ce fut le passage des Échassiers de la Baie qui devinrent le Cirque du Soleil, lequel connaît une grande aventure internationale. Partir de son lieu d’inspiration lui aura permis de grandir.
Notre ville doit se questionner. Quel genre de tourisme veut-elle, mais surtout auquel elle choisira de lier son avenir? Nous en sommes là. À l’heure où nous connaissons un manque de logement, où l’on se questionne sur la respectabilité sociale à l’inclusion, que faisons-nous de ces questions dans notre construction touristique? Comment concilier profit, développement et qualité de vie?
Ne doit-on pas aussi avoir un souci pour ces citoyens qui ne seront plus en mesure de conserver leurs maisons? Une triste réalité. On ne vient plus s’installer à la Baie, mais dans les municipalités avoisinantes, ça coûte trop cher.
Baie-Saint-Paul, Charlevoix ne pourraient-ils pas devenir une des grandes destinations du tourisme vert, lequel fait de plus en plus tendance à travers le monde? Ne sommes-nous pas une réserve reconnue de la biosphère? C’est loin d’être utopique. L’industrie touristique est appelée à évoluer, à se transformer. Il faut être visionnaire. Des villes touristiques dans le passé et tout proche de nous en ont manqué et se sont retrouvées dans un cul-de-sac.
Le tourisme vert, c’est entre autres celui qui durant son séjour permet de créer des liens avec les visités et dont la présence sur l’environnement se veut la moins nuisible autant que faire ce peut. Le tourisme vert, c’est celui d’une plus grande harmonie entre le profit légitime et son désir de jouir de son territoire. C’est le respect non seulement des droits de l’homme où on évite que certains travailleurs soient abusés. C’est avant tout le respect de sa collectivité.
Le tourisme a pour origine ce désir d’échanger, de connaitre l’âme de peuples, la même que Félix-Antoine Savard a révélé de la nôtre avec son écriture ou que Pierre Perreault avec ses films.
Voilà le genre de tourisme que l’on doit rechercher, celui qui tout en nous faisant oublier notre quotidien élargit mutuellement nos savoirs et être.
Faut-il attendre qu’à l’exemple des citoyens de Barcelone, que les nôtres envahissent les rues de Baie-Saint-Paul pour en chasser les touristes, exacerbés par leur omni-présence?
Bien des gens, bien des familles ont choisi notre ville pour sa beauté, croyant faciliter chez elles une meilleure qualité de vie. La ville et ses citoyens doivent trouver un heureux équilibre et j’ajoute en me répétant le mot harmonie entre son développement et sa vocation touristique. Le développement ne doit pas être synonyme d’asservissement, mais d’épanouissement. Il serait peut-être intéressant que le conseil de ville donne la parole aux citoyens sur le sujet. Ce serait un peu comme leur redonner le quai, celui qu’on leur a enlevé pour le donner aux touristes.
L’histoire est une répétition. Les festivals passent et repassent. Mais quoi qu’en disent et quoi qu’on fasse, la lumière qui fut une grande source d’inspiration depuis bon nombre de générations de créateurs ne s’en ira pas et en attirera d’autres.
Celui qui vous écrit a rêvé de faire de Baie-Saint-Paul une des plus grandes destinations culturelles.
Au début de ma carrière, alors que j’étais directeur du centre culturel, le président du Syndicat d’initiative touristique de Charlevoix, l’ancêtre de Tourisme Charlevoix (je vais en taire le nom par respect pour sa mémoire) m’avait recommandé de ne pas déployer des efforts pour développer l’offre touristique à Baie-Saint-Paul, le tourisme étant toujours selon lui réservé pour Pointe-au-Pic. Je lui avais répondu candidement avec mes 19 ans que nous en ferions la plus grande de la région.
Lorsque Françoise Labbé a créé le symposium qu’elle voulait pour le mois d’août, on lui a dit que c’était une erreur, ce mois étant le plus faible de la saison. Elle a répondu : j’en ferais le plus important.
Je me permets donc de continuer à rêver â cette grande destination culturelle dont on parlait précédemment. Pour ce faire, le MAC est indispensable. Il doit, s’il veut toujours être cette institution d’envergure nationale, poursuivre et accentuer son développement, élever sa mission muséale tout en faisant de son symposium l’un des plus grands événements en art contemporain sur la scène mondiale. Et quant à faire comme le disait si bien ma mère, que sa cour devienne un grand jardin orné de sculptures. Pourquoi pas?
Baie-Saint-Paul, Charlevoix est dans un tournant un peu comme toute la planète. En soulevant qu’il faut s’approprier notre territoire tout en l’ouvrant aux autres, en exigeant qu’on le fasse dans une plus grande harmonie entre le plaisir d’y vivre en paix tout en recevant de la belle visite, nous nous donnons la possibilité de se doter d’un tourisme intelligent. Un mot a la mode. Il faut dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres savoir se réinventer.
Soyons un exemple pour toute la planète!
C’est le défi qui se présente actuellement aux acteurs économiques de la région. Dans les années 70, Charlevoix s’est transformé et ce en grande partie dû à la mission économique gouvernementale. J’en fus. Aujourd’hui je crois que les nouveaux enjeux nécessitent pareillement de grandes réflexions sur le genre de société que l’on veut construire pour le futur. Le profit à court terme d’un tourisme que l’on considère payant ne doit pas nous empêcher de voir son avenir et surtout de le voir différent.
Les gens de la Baie et ceux qui y viennent pour se ressourcer sont des gens de paix. Quand je vais sur le quai de Baie-Saint-Paul j’ai cette pensée : « Plus je te contemple, plus je t’aime ». Comme l’a si bien dit Plamondon dans une de ses chansons, ne brisons pas la beauté du monde.
On apprend qu’en sociologie, c’est dans la nature de l’homme d’être hors normes. Soyons le donc en faisant autrement!
NDLR L’auteur a créé en 1967 une boite à chansons, il fut aussi le premier du centre culturel de Baie-Saint-Paul puis du festival folklorique, enfin durant près de 14 ans directeur général du Musée d’art contemporain et de son symposium qu’il a contribué à donner un nouvel élan. Il est le fondateur du regroupement des grands événements de Charlevoix .
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