Reboiser des chemins forestiers pour éviter la disparition du caribou
Reboiser des chemins forestiers qui ne servent plus à l’industrie fait partie des moyens de restaurer l’habitat du caribou. Photo La Presse Canadienne Crédit Université de la Colombie-Britannique-Cole Burton
Reboiser des chemins forestiers qui ne servent plus à l’industrie fait partie des moyens de restaurer l’habitat du caribou. Mais l’exercice peut être long et dispendieux avant de porter ses fruits.
Mercredi dernier, le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a expliqué que le décret qu’il compte imposer à Québec afin de forcer la province à protéger trois populations de caribous pourrait «limiter beaucoup les activités industrielles» dans les zones d’habitat.
Le ministre a également indiqué que sa démarche pourrait forcer le reboisement de chemins forestiers abandonnés qui sont «essentiellement des autoroutes à prédateurs» pour le caribou.
Les chemins forestiers favorisent les attaques de prédateurs comme l’ours, le loup et le coyote.
Le professeur en Écologie spatiale et aménagement forestier Osvaldo Valeria a calculé qu’il y avait 536 000 kilomètres de chemins forestiers au Québec, «ce qui correspond à 12 fois le tour de la planète».
Avec ses étudiants, le professeur à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue a analysé le comportement des prédateurs du caribou dans des chemins forestiers de Val-d’Or en Abitibi, en utilisant des caméras attachées aux arbres.
Il s’est rendu compte que les prédateurs utilisaient davantage les larges chemins de gravelle que les petits chemins de terre, appelés chemins d’hiver.
«Si on veut aider le caribou, c’est surtout les routes de classe supérieure», les chemins de gravelle, «qu’il faut reboiser», a expliqué Osvaldo Valeria en soulignant que les chemins d’hiver, donc les petits chemins de terre, ne présentaient pas de risque pour les caribous.
Des chemins multiusages
Avant de reboiser des routes forestières abandonnées, il faut tenir compte de l’acceptabilité sociale, car plusieurs chemins, qui au départ étaient construits pour faciliter la coupe d’arbres, sont devenus avec le temps des chemins multiusages.
«Beaucoup de gens ne veulent pas perdre leur accès à la forêt, car ils vont chasser, pêcher ou cueillir des petits fruits, certains vont se construire un abri sommaire, un chalet, un campement. Donc, souvent, il y a du patrimoine bâti», a expliqué Martin-Hugues St-Laurent, professeur d’écologie animale à l’Université du Québec à Rimouski.
Le professeur St-Laurent a souligné que lorsqu’on reboise un chemin en forêt, «ça peut prendre des décennies» avant que «les arbres atteignent une taille suffisante pour avoir un effet sur les prédateurs», donc sur la survie du caribou.
«Mais si on ne le fait pas, les chemins vont rester accessibles et utilisables par les prédateurs», a-t-il ajouté.
Le professeur d’écologie animale est d’avis, comme plusieurs experts, qu’il faudrait d’abord «imposer un moratoire sur la coupe d’arbres» et «arrêter de créer de nouveaux chemins» dans l’habitat du caribou et ensuite «évaluer les secteurs où le reboisement permet d’enlever l’efficacité des prédateurs».
Éviter la disparition du caribou «n’est pas très compliqué», selon Martin-Hugues St-Laurent, mais «ça demande du courage politique», car il faut revoir notre relation avec la forêt.
«On a longtemps vu la forêt boréale comme un endroit qu’on devait aménager à 100 % ou presque. Bien là, on est en train de réaliser qu’il faut laisser des richesses potentielles de côté.»
Des milliers de dollars pour chaque km
Le président-directeur général du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ), Jean-François Samray, estime qu’il en « coûte environ de 7000 à 10 000 $ du kilomètre» pour reboiser un chemin forestier.
Son organisation a fortement critiqué l’intention d’Ottawa d’imposer un décret à Québec pour protéger trois populations de caribous et considère que cette démarche «constitue une ingérence face à la gestion du caribou et de son habitat, ainsi que des ressources naturelles du Québec».
Selon M. Samray, il est possible de gérer la forêt de façon durable, sans nuire au caribou, mais pour y arriver, un changement de régime forestier s’impose.
Le régime forestier est l’ensemble des règles que le gouvernement du Québec met en place pour encadrer l’exploitation de la forêt.
«Il faut revoir en profondeur le régime», selon le PDG du CIFQ, pour que la gestion forestière passe d’un mode extensif à un mode intensif.
«On utilise beaucoup de kilomètres carrés pour obtenir une certaine quantité de mètres cubes, mais dans d’autres pays, comme aux États-Unis, ils sont capables d’arriver au même résultat avec des surfaces nettement plus petites.»
Jean-François Samray est d’avis «qu’il y a moyen de produire du bois plus près des usines, avec une productivité plus grande, sans avoir à parcourir d’immenses distances pour aller chercher le bois» et ainsi perturber l’habitat du caribou.
Un décret pour trois populations
Mercredi dernier, le ministre Guilbeault a annoncé que le gouvernement fédéral entamait les consultations pour définir l’étendue des zones potentielles de protection et la portée des interdictions du décret d’urgence visant à protéger le caribou, «à la suite de l’échec du gouvernement du Québec».
Les habitats des trois populations de caribous forestiers «les plus à risque au Canada», selon le ministre de l’Environnement, sont visés par le décret, soit Val-d’Or, Charlevoix et Pipmuacan.
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