Tous les pères ne sont pas égaux lors d’une séparation, rappelle un expert
Qu'ils soient défavorisés ou non, le souhait le plus ardent des pères est de continuer à jouer un rôle dans la vie de leurs enfants après la séparation. (AP Photo/Jeremias Gonzalez)
Tous les pères ne sont pas égaux lorsque vient le temps de faire valoir leurs droits lors d’une séparation, rappelle un expert avec qui La Presse Canadienne s’est entretenue à quelques jours de la Fête des pères.
Si certains auront les moyens de dépenser des milliers de dollars pour être représentés par un avocat qui défendra leurs intérêts, il en sera tout autrement pour les pères démunis ou pour les pères nouvellement arrivés au pays qui ne sont pas familiers avec les rouages du système judiciaire québécois.
«C’est une situation complexe, a souligné Sébastien Trudel, le directeur du soutien au développement du Réseau Maisons Oxygène. Si on parle de la défavorisation, est-ce que le père était dans de bonnes conditions financières (au moment de la séparation)? Et qu’est-ce que (la séparation) amène par la suite comme précarité financière?
«Mais on peut aussi parler de n’importe quelle vulnérabilité autre que financière que le père avait, comme une vulnérabilité psychosociale, et dans quoi ça peut le projeter.»
Le Réseau Maisons Oxygène se décrit comme étant «le seul regroupement provincial d’organismes spécialisés dans l’hébergement pour les pères et leurs enfants au Québec». Le réseau compte une vingtaine d’adresses à travers la province, du Témiscamingue dans l’ouest jusqu’à la Côte-Nord dans l’est.
Même s’il est intéressant de constater que les pères connaissent de plus en plus la médiation familiale et qu’ils commencent à avoir un peu plus recours à l’aide juridique, a dit M. Trudel, un père qui n’aura pas les connaissances et les moyens nécessaires pour avoir accès aux ressources pourra vivre «une double défavorisation».
«À ce moment-là, c’est sûr que ça met le père en contexte de vulnérabilité face à la loi, face à ses droits, et ça ne donne pas nécessairement des chances égales, tout comme ça ne donnerait pas des chances égales non plus à la mère si elle était dans le même contexte», a-t-il dit.
Il y a encore beaucoup de travail à faire pour faire connaître toutes les ressources disponibles, a-t-il ajouté, non seulement aux pères eux-mêmes, mais aussi à tous les intervenants sociaux qui peuvent les côtoyer dans le cadre de différents services, surtout quant on sait que les pères sont d’emblée moins portés que les mères à faire appel aux services sociaux.
Les pères immigrants pourront ne pas connaître tous les règlements et toutes les lois qui s’appliquent, a rappelé M. Trudel. On doit ajouter à cela la barrière de la langue.
«Et si c’était maman qui s’occupait des démarches auprès des différentes instances, et qu’au moment de la séparation le père se retrouve seul à faire ces démarches, ça peut être compliqué, a-t-il dit. Il vient de perdre son coéquipier et les repères sont difficiles à trouver.»
La firme Léger a récemment réalisé, pour le compte du Regroupement pour la valorisation de la paternité, un sondage auprès de 574 pères ayant vécu une séparation au cours des dix dernières années. Si la plupart des résultats n’ont rien de bien étonnants, le coup de sonde nous apprend par contre que 64 % des pères interrogés considèrent que le système judiciaire n’est pas bien adapté aux réalités et aux besoins des pères.
Il est donc important de modifier et d’adapter la manière dont les hommes sont accompagnés, a rappelé M. Trudel. Il ne suffit pas de remettre au père une carte en lui conseillant d’appeler, surtout s’il a de la difficulté à comprendre ce qui se passe. Et s’il fait la démarche et qu’il se heurte à une boîte vocale ou à un refus, «ça pourra être long avec qu’il fasse une deuxième demande», a dit l’intervenant.
Il y aussi des mécanismes qui devraient être adaptés à la réalité québécoise, estime M. Trudel. Il cite en exemple l’accès aux HLM qui est offert aux pères monoparentaux seulement s’ils ont au moins 40 % de la garde de leurs enfants ― un seuil que n’atteint pas un père défavorisé qui ne les voit qu’une fin de semaine sur deux.
Des études démontrent que la vaste majorité des ruptures sont initiées par la femme, a ajouté M. Trudel. Au moment de la séparation, la mère aura donc plusieurs longueurs d’avance face au père qui partira de zéro, puisqu’elle se prépare vraisemblablement depuis déjà quelques mois.
«Le père doit vivre un deuil en même temps qu’il doit se réorganiser, a-t-il rappelé. C’est à ce moment-là qu’il faut travailler avec le père pour pouvoir s’assurer qu’il puisse faire l’ensemble des démarches tout en regardant le côté émotif de la chose.»
C’est pour cela que le Réseau Maisons Oxygène a entrepris d’aller à la rencontre des pères sur le terrain, là où ils se trouvent, plutôt que d’attendre de recevoir des appels, a ajouté M. Trudel.
«Ce ne sont pas des hommes qui aiment consulter, a-t-il dit en conclusion. Mais quand ils viennent consulter, ils nous disent qu’ils auraient dû venir avant, que c’est moins menaçant que ce qu’ils imaginaient. On a l’impression de leur enlever tout un poids sur les épaules.»
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