La mecque de l’observateur d’oiseaux: Pointe Pelée

Par Michel Paul Coté 4:00 PM - 30 mai 2023
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Le marais ‘Hillman Marsh’ , tout près, doit être visité. 5 kilomètres de sentier entretenu. Ici, un cygne trompette qui vient de capturer un petit de bernache du Canada. La nature est belle, et cruelle. Photo Rachel Beauchamp

Le printemps est une période de grande effervescence pour l’amateur d’oiseaux. Nos amis reviennent du Sud. La migration printanière est souvent spectaculaire, car beaucoup d’espèces passent par chez nous en peu de temps. Ils sont nombreux, ils sont bruyants, ils sont colorés, car ils ont revêtu leurs plumages nuptiaux.

En Amérique du Nord, c’est par centaines de millions que les oiseaux remontent au Nord, pendant la nuit, pendant les quelques semaines que dure la migration printanière. Ils suivent des couloirs de migration établis depuis des millénaires, toujours les mêmes. Les radars des services météo américains suivent ces mouvements et publient quotidiennement les grands déplacements. Les amateurs étudient attentivement ces cartes, et surveillent la météo.

Si un front froid est annoncé pendant ces grands vols nocturnes, les amateurs jubilent. Les fronts froids amènent des vents nord-ouest qui rendent plus ardue la progression. Si les oiseaux sont surpris par des vents contraires alors qu’ils survolent une grande étendue d’eau, alors c’est souvent l’hécatombe pour plusieurs. Épuisés, ils peinent à progresser contre les forts vents. La traversée qui devait durer 2-3 heures se transforme en marathon. Aux premières lueurs du jour, les oiseaux voient au loin la terre. Souvent une pointe de terre qui avance dans l’immense cours d’eau. C’est l’objectif ultime, se rendre à cette terre ferme. C’est une question de survie.

Aussitôt la rive atteinte, on s’y laisse littéralement tomber, épuisé. 

Ce phénomène se nomme en anglais un ‘fallout’.

Il est courant d’observer de grands hérons, des rapaces, des parulines, des bruants, des laridés, écrasés au sol,  les uns à côté des autres, immobiles, tentant de récupérer sous la chaleur des premiers rayons de soleil. Après quelques heures, les forces reviennent graduellement, et les oiseaux tentent de se déplacer brièvement vers les arbres les plus près. Là, on mange, on se repose, on fait le plein d’énergie, avant de reprendre la route dans un jour ou deux.

Mais où trouve-t-on de tels phénomènes ? Au Texas, à High Island, sur les bords du golfe du Mexique. C’est un endroit mythique.

Plus près, toujours aux États-Unis: Cape May.

Mais il existe aussi au Canada un endroit tout aussi reconnu pour y observer le même phénomène. Il s’agit de Pointe Pelée, en Ontario, sur les rives du lac Érié.

En mai, les oiseaux qui migrent par les couloirs centraux des États-Unis entreprennent la traversée du lac pour atteindre leur territoire de nidification situé plus au Nord.

Pointe Pelée  porte bien son nom. Il s’agit d’une longue pointe de terre qui s’avance dans le lac.

Une cible de choix pour les oiseaux.

Une cible de choix également pour les amateurs qui viennent y observer le phénomène chaque printemps. Ces inconditionnels des oiseaux viennent du monde entier. 

Ma première visite au parc national de Pointe Pelée remonte  à 1970. Quelques centaines d’observateurs dans le parc, presque tous des retraités. Âgé de 17 ans, je détonnais un peu…. Mais les oiseaux étaient au rendez-vous, et les gentils ‘retraités’ m’ont patiemment initié au phénomène naturel qui se déroulait devant nous.

Plus de cinq décennies plus tard, je suis retourné à Pointe Pelée. Je m’y trouvais la semaine dernière, pour un séjour d’une semaine.

Bien des choses sont les mêmes: les oiseaux, le chalet, l’accueil, les sentiers qui sillonnent l’étroite forêt, la pointe,  la longue promenade de bois qui traverse le marais.

Mais la magie n’est plus tout à fait la même. Le premier indice de changements fut la très longue attente à la guérite pour entrer dans le parc. Il était 6 heures du matin. Puis ce fut la directive de stationner à 3 km de l’accueil, car son stationnement était déjà plein…

Sur le sentier menant au chalet d’accueil, les observateurs sont différents: tous ont, suspendus au cou, des équipements à la fine pointe: jumelles à 4000$, caméra et lentilles coûtant l’équivalent d’une petite voiture. Et ils sont nombreux, très nombreux. 

Il est facile de trouver des oiseaux. Il suffit de regarder dans la même direction
que ces centaines d’amateurs.

Au pavillon d’accueil, des navettes nous mènent à la pointe, située 3 kilomètres plus loin. Plusieurs navettes, qui effectuent un aller-retour continuel.

Les oiseaux sont au rendez-vous, mais ils se sont déplacés dans les boisés, car il est maintenant midi.

Bien décidés à arriver plus tôt le lendemain, nous nous présentons à la porte du parc à 5 heures du matin. Et nous nous retrouvons encore une fois derrière une longue file de voitures et motorisés. Chanceux, il reste 2 places de stationnement au pavillon d’accueil. Chanceux encore, nous pouvons monter dans les premières navettes.

Triplement chanceux, sur la pointe, une grande rareté: un lagopède des saules ! Comment cet oiseau qui passe l’année dans l’arctique canadien s’est-il retrouvé aux États-Unis et ultimement sur la pointe de sable de Pointe Pelée ? Un grand mystère. Probablement une tempête d’hiver qui a désorienté
l’oiseau.

Pour 99% des observateurs, c’est une première observation à vie. L’excitation
est à son comble. Les caméras crépitent. Des agents du parc demandent aux observateurs de reculer.

On installe des cônes orange le long du parcours de l’oiseau qui semble épuisé, mais désireux de se rendre dans la végétation, si près, mais aussi si loin…

Le lagopède se rendra au boisé, et y demeurera 36 heures, avant de s’envoler vers les siens. Il sera photographié des dizaines de milliers de fois.

Le reste de la semaine fut très agréable. Nous avons délaissé la foule de la pointe et sillonné les sentiers, le marais, et les autres refuges d’oiseaux qui abondent autour de Pointe Pelée.

Conclusion: je ne sais pas si un nostalgique doit conclure. L’observation des oiseaux est devenue depuis 50 ans une activité très populaire. Presque compétitive pour certains.

Pointe Pelée permet à un très grand nombre d’amateurs de pratiquer leur loisir. En soi, c’est très bien. Les amateurs sont toujours aussi respectueux que jadis. Dans le parc, personne ne crie, on se croirait dans une église. Les gens se déplacent lentement. On n’y entend que le chant des oiseaux. C’est un pèlerinage obligé. Il suffit de se présenter à la guérite à 4h30 du matin…. Bonnes observations.

Le lagopède des saules a dû se sentir comme un ‘rock star’ avec tous ces
photographes…Photo Michel Paul Côté

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