60 ans après Perrault, le retour du cinéma direct

Par Jean-Baptiste Levêque 5:00 AM - 25 avril 2023
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Samuel St-Pierre, devant la plage des Traverseux, où il a pu filmer la reconstitution de la pêche au marsouin de Pour la suite du monde.

Le film documentaire Pour la suite du monde, tourné à L’Isle-aux-Coudres et sorti en 1962, reste une référence cinématographique incontournable et une source d’inspiration pour de nombreux cinéastes. 60 ans plus tard, l’un d’eux, Samuel St-Pierre, suit les traces de Pierre Perrault et tourne un documentaire avec les pêcheurs à la fascine.

Le jeune trentenaire est originaire de la Rive-Sud du Saint-Laurent. En étudiant au Cégep de La Pocatière, il découvre à la fois les films de Pierre Perrault et les pêcheurs à la fascine de Rivière-Ouelle. Un peu plus tard, il rencontre à l’occasion d’un tournage Yolande Simard-Perrault, la femme du cinéaste.

« Elle m’a dit : es-tu déjà allé à L’Isle-aux-Coudres? Sors un peu des films de mon Pierre puis va voir les Marsouins d’aujourd’hui », se rappelle Samuel St-Pierre. « Quand elle est décédée, ça a été un déclic. »

Le jeune réalisateur visite donc l’île pour la première fois en 2019 et y développe un attachement semblable à celui de sa région natale. « L’Isle-aux-Coudres est liée à la Rive-Sud par sa géologie. On est sur un morceau d’Appalaches au milieu du fleuve. Y a quelque chose dans cette île qui me révélait tout un pays, comme Perrault l’a senti. »

Le cinéaste rencontre aussi Marc Harvey, capitaine de navire et petit-fils du maître de pêche filmé dans Pour la suite du monde. L’idée d’un film commence alors à naître dans sa tête.

« Je me suis rendu compte que Rivière-Ouelle faisait de la pêche au marsouin. Il y avait un dialogue possible entre les deux rives du fleuve. Il y a un jeu de résonances intéressant entre Charlevoix et Kamouraska-L’Islet par rapport aux pêches ancestrales. Je travaille souvent sur la résonance entre les individus qui forment un discours collectif », explique le documentariste.

Le projet de long-métrage porte justement le titre Résonances d’un fleuve, qui fait écho au sujet du film et à la démarche artistique du réalisateur. « Je voulais aussi créer une résonance entre le passé et le présent, entre le cinéma direct de Perrault et ce que je fais maintenant. Je suis vraiment dans la parole et le symbolisme, sur ce que ça révèle d’un territoire. »

Samuel St-Pierre en tournage avec Alexis Tremblay, insulaire centenaire de l’Isle qui lui a partagé ses souvenirs de pêche.

Le fleuve dans les veines

60 ans après que Pierre Perrault ait filmé les Marsouins de l’Isle, Samuel St-Pierre constate que « le rapport au fleuve est toujours là. Ils habitent un fleuve. Et comme dans le film de Perrault, ils recherchent les traces de leurs ancêtres dans cette pêche-là. »

À l’été 2022, le cinéaste a d’ailleurs pu filmer la reconstitution de la fameuse pêche au marsouin tournée par Perrault, elle-même organisée pour perpétuer une pratique de pêche ancestrale. Cette année, il revient capter notamment les pêches à la fascine de Julie Gauthier (Saint-Irénée) et Robert Mailloux (L’Isle-aux-Coudres).

Samuel St-Pierre ne souhaite pas seulement que son film commémore l’œuvre de Perrault et le passé des insulaires. Il tient aussi à apporter une réflexion sur l’avenir dans un contexte de bouleversements écologiques dus aux changements climatiques.

« Les espèces, en s’éteignant, amènent à la fin de la mémoire. Le jour où on va perdre l’anguille ou le capelan (comme cela a été le cas pour le marsouin), les fascines vont s’éteindre. Il en sera de même pour la mémoire de l’action des gens sur le fleuve », craint le cinéaste.

« Dans 50 ans, les gens verront peut-être dans mon film des choses qui n’existent plus. C’est quoi, la suite du monde? », se questionne-t-il. « On sait que le fleuve s’asphyxie dans ses profondeurs. Si le fond marin devient invivable, ça commence à être inquiétant. Le fleuve, pour moi, c’est l’âme du Québec. »

Le tournage du film de Samuel St-Pierre dans Charlevoix va se poursuivre jusqu’à l’automne 2023. Sa sortie est prévue pour 2024.

L’installation de pêche à la fascine de Julie Gauthier, à Saint-Irénée. Photo courtoisie

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