Une chouette rencontre

Par Michel Paul Côté 12:00 PM - 9 avril 2023
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La chouette lapone est assez unique et facilement identifiable. Pas du tout farouche, on peut l’observer pendant longtemps, en respectant une certaine distance, si on a la chance de la découvrir….

Il y a de ces rencontres aviaires qui sont inoubliables. Des décennies plus tard, on se souvient du moment et du lieu de façon très claire. C’est probablement à cause de l’émotion éprouvée lors de cette première observation. Une sorte de coup de foudre…

Il s’agit de la chouette cendrée, souvent appelée chouette Lapone.

C’est le plus grand hibou au Canada. En anglais, il porte bien son nom: Great gray Owl

Ses dimensions: 80 cm de haut, 150 cm d’amplitude d’ailes. Toutefois son poids, guère plus de 1 kg, fait que le Harfang des Neiges et le Grand Duc sont plus lourds que lui.

Ses dimensions sont un peu trompeuses: en effet, plumes, duvet, plumes, duvet, plumes…

C’est ce qui lui permet de porter le nom « lapone », car c’est synonyme de l’Arctique, de froid intense. Ce plumage très dense lui permet de vivre aisément dans ce climat glacial.

La chouette cendrée est un oiseau rare, très rare au Québec. On l’observe généralement dans la partie nordique du centre et de l’Ouest du Canada, au milieu de la forêt boréale. C’est d’ailleurs l’emblème aviaire du Manitoba. Mais parfois il s’aventure dans Charlevoix. Se nourrissant surtout de petites souris, d’écureuils, de corneilles, et d’autres petits mammifères, il arrive que les proies viennent à manquer dans son aire usuelle d’hiver. C’est alors que certains individus se pointent chez nous. Pas en grand nombre, mais une seule chouette lapone suffit pour nous marquer à tout jamais.

Deux fois seulement lors du 19e siècle le nord-est de l’Amérique du Nord a accueilli de grandes quantités de chouettes lapones. Puis en 1979, et puis encore il y a environ 8 ans.

Étant donné que ce rapace imposant passe sa vie en régions très éloignées, où l’homme est quasiment absent, l’oiseau n’a pas développé la crainte de l’humain.  Au contraire, la présence de l’observateur semble laisser la chouette indifférente, presque curieuse parfois.

Il y a environ 2 semaines, un lecteur m’informait par courriel que ce rare hibou se trouvait sur sa propriété depuis quelques jours. Bien perché devant son salon…. Le lecteur est fort crédible dans sa description et est un observateur d’oiseaux….

C’est tentant….

La chouette lapone possède une tête ronde, sans aigrettes au-dessus des oreilles. Le disque facial est très grand, les yeux sont jaunes et la queue est longue. Le plumage est brun grisâtre, tacheté et rayé. Deux grands croissants blancs sont bien visibles sur la gorge. Étant donné qu’en plus c’est un chasseur diurne, qui fait le guet perché dans un arbre mort ou sur un fil devant un champ découvert, l’oiseau est facilement reconnaissable.

Sans trop d’espoir, je me suis rendu le lendemain près de l’endroit où l’oiseau avait été observé.

À mon grand étonnement, perchée bien en vie sur le fil de Bell, la chouette lapone faisait le guet, juste en bordure de la route, surveillant attentivement tout mouvement suspect dans le champ qui s’étend devant elle.

Pendant une heure, j’ai pu admirer cet oiseau qui ne montrait aucune inquiétude face à ma présence. À quelques reprises, la chouette s’est envolée pour plonger dans la neige tout près, probablement pour attraper un petit mammifère. Puis elle revenait sur son perchoir, bredouille.

Dans les jours qui ont suivi, je suis repassé sur ce chemin. À deux reprises, la chouette fut observée longuement, fidèle à son poste, perchée à quelques centaines de mètres plus loin que la veille, toujours sur le fil de Bell. Quelques automobilistes se sont arrêtés sur le bord du chemin pour l’admirer. Tous étaient fascinés.

Pourquoi ne pas avoir informé les observateurs de la présence de cette rareté dans Charlevoix? Parce que l’oiseau fait partie des espèces dont la survie est grandement menacée. Tout comme pour l’aigle royal (ou aigle doré), ce sont des oiseaux qui aiment les grandes solitudes, et dont l’aire de reproduction est sans cesse repoussée et diminuée par l’homme. Si vous tentez de rapporter l’observation de ces 2 oiseaux sur le site des oiseaux rares du Québec, ou sur eBird, votre observation ne sera pas publiée, afin de ne pas perturber l’oiseau. Mais la Lapone et l’aigle royal sont présents dans Charlevoix. C’est ce qui rend l’observation des oiseaux si merveilleuse parfois. Il suffit d’une fois…

Avec l’arrivée du printemps, nul doute que MA chouette Lapone  repartira bientôt vers le grand Nord rejoindre ses semblables. Elle est même peut-être déjà repartie, au moment où j’écris ces lignes.

Qu’importe, son court séjour chez nous a permis à plusieurs de vivre un moment exceptionnel.

Merci pour cette chouette rencontre.

La chouette lapone. Photo Michel Paul Côté

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