L’écoanxiété et nous

Par Émélie Bernier 8:00 AM - 18 janvier 2023 Initiative de journalisme local
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Quand le big boss de l’ONU Antonio Gutteres emploie la peu subtile expression « pacte de suicide collectif » pour parler du mur vers lequel on fonce à 1000 milles à l’heure la pédale au plancher, l’image ne laisse aucune place à l’interprétation. Il faut lever le pied là, maintenant, tout de suite, pour alléger notre empreinte écologique de yéti obèse morbide. L’heure est gravissime, mais ça, les écoanxieux le savent déjà.

L’angoisse climatique ne vous ronge peut-être pas les sangs, pas encore du moins, mais selon un sondage Ipsos réalisé en 2021, 59 % des Canadiens âgés de 18 à 29 ans ont la boule au ventre.
Et pas parce qu’ils ont fait une indigestion de tourtière ou de dinde farcie fin décembre…

Les dindons de la farce, ce sont eux, les écoanxieux. Parce qu’ils auront beau recycler la moindre attache à pain, faire pousser leurs tomates, composter leurs rognures d’ongles, écrire leurs angoisses au crayon de plomb sans plomb en bois certifié équitable sur du papier recyclé, fabriquer leurs produits nettoyants avec du marc de café et de la petite vache, aller jusqu’à élever quelques chèvres et faire tant bien que mal leur lait et leur fromage, leur angoisse n’en sera pas moins prégnante.

« L’humanité a un choix : coopérer ou périr. C’est soit un pacte de solidarité climatique, soit un pacte de suicide collectif. » – Antonio Guterres à la COP27

Signe que le mal est tout aussi réel que sa cause, l’écoanxiété est devenue un champ d’études à part entière. Les écrits s’accumulent sur le sujet comme les gaz à effets de serre dans l’atmosphère.

« L’écoanxiété est un état psychologique de détresse mentale et émotionnelle face aux menaces du changement climatique et aux problèmes environnementaux globaux », décrit le psychologue Pierre-Eric Sutter.

Et les symptômes ne sont pas jojos: insomnie, crise de panique, idées suicidaires… Tel Jeunes consacre d’ailleurs un pan entier de son site web à ce mal générationnel.

« L’écoanxiété, qu’on appelle aussi solastalgie, est une crainte importante et une appréhension des changements perçus comme irréversibles de l’environnement. Il s’agit donc d’une grande inquiétude liée au sort de la planète et aux enjeux environnementaux actuels », peut-on y lire.

Peut-être parce qu’ils ont toute la vie devant eux et que les auspices ne sont guère roses (ni verts), les jeunes sont plus affectés que leurs aînés par ce mal sournois et diablement contemporain.  À ce mal intangible, il n’existe pas de remède miracle, alors que tout tend à mettre la pression d’inverser le grand dérangement du monde sur les épaules de ceux qui sont nés dans le 3e millénaire…

« Nous n’héritons pas la Terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants » – Antoine de Saint-Exupéry

Ce cher Antoine doit se retourner dans sa tombe…

Désolée, chers milléniaux, Z et autres Alphas, nous n’avons pas pris un très grand soin de votre bien.

Les générations qui vous ont précédé, dont la mienne, n’ont pas su arrêter la saignée. Mais vos parents, vos grands-parents, s’ils ne sont pas blancs comme neige, ne sont pas ceux sur la tête desquels vous devriez taper.

Il y a quelques années (et aujourd’hui encore dans certaines franges déconnectées du réel), on doutait de l’existence même du péril climatique…

Si vous devez en vouloir à quelqu’un, jetez plutôt votre dévolu sur les grands pollueurs qui agissent en
toute impunité, pompent nos ressources jusqu’à plus soif et laissent derrière eux leurs poubelles éventrées.

Et à ceux qui les ont invités au buffet à volonté!

Il est là, le véritable désastre. Dans cette imputabilité crasse et désespérément crasseuse.

Parions que l’épidémie d’écoanxiété fait peu de ravages dans les rangs des puissants qui sucent la moelle de notre sous-sol, corrompent les cours d’eau, saccagent les milieux naturels, grappillent et gaspillent nos ressources collectives pour s’enrichir…

Bon, c’est bien déprimant tout ça, rien de quoi remonter le moral des « prétraumatisés » de la catastrophe planétaire…

Le stress «pré-traumatique » ou angoisse d’anticipation est une notion qui colle trop bien au sort des
écoanxieux.

Mais comment peut-on traiter ce mal si diffus qui n’a rien d’un genou écorché?

Fermer la télé et décrocher d’Internet : être branché 24/7 sur les canaux-catastrophe n’aide en rien à calmer les « écoémotions »…

Agir : L’action est un puissant « anti-écoanxiolythique » non médicamenteux. Il n’y a pas de petit geste.

Engagez-vous : La mobilisation, le partage, l’échange, l’action citoyenne collective vous aideront à vous sentir moins seul et démuni. Seul, on peut aller vite dans le mur du désespoir, alors qu’ensemble, on peut construire une échelle, un barreau à la fois.

Jouer dehors : Ça peut sembler complètement banal et contre-intuitif, mais se balader en forêt, admirer le bleu du ciel, s’émouvoir d’un chant d’oiseau est un antidote au blues écolo… Parce que la vie palpite et qu’en faire partie est certes un risque, mais surtout un immense privilège.

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