Votre caca à la rescousse de l’humanité

Par Émélie Bernier 2:30 PM - 2 novembre 2022 Initiative de journalisme local
Temps de lecture :
Céline Vanheeckhaute

La chercheuse Céline Vaneeckhaute et sa petite famille étaient récemment de passage à Copenhague au Congrès mondial sur l’eau afin d’y recevoir une distinction internationale, le Young Leadership Award de l’Association internationale sur l’eau, qui salue ses recherches autour d’une des matières les moins nobles qui soit: le caca!


Céline Vaneeckhaute a 34 ans et est parmi les plus jeunes sinon la plus jeune titulaire d’une chaire de recherche au Canada, la Chaire de recherche en récupération des ressources et en génie des bioproduits. Elle s’intéresse particulièrement à la récupération de ressources valorisables à partir des matières résiduelles et des eaux usées. Au cœur de ses travaux se retrouvent donc votre urine et vos excréments.
À l’Université Laval, Céline Vaneeckhaute et son équipe mettent tout leur savoir en œuvre pour transformer nos déchets biologiques quotidiens en produits chimiques de qualité et pratiques (engrais, biodétergents durables, biomatériaux).

Le but? Réduire notre production de déchets et in extenso, la pollution de l’eau et de l’environnement, tout en améliorant au moyen de ces intrants nouveau genre la qualité des sols et des cultures. Où la grande majorité des gens voient de simples déchets, la chercheuse voit plutôt de précieuses ressources à valoriser.

« Je joue dans le caca », rigole-t-elle, avant de poursuivre, plus sérieusement. «Quand on va aux toilettes, on élimine tout ce qu’on mange et ce qui n’est pas absorbé via l’urine, les excréments. Une bonne partie des nutriments, l’azote et le phosphore par exemple, va être excrétée. Si on prend des vitamines, du fer, une partie va être absorbée, mais le reste va dans l’urine. On ne veut pas les déverser dans le fleuve, ça va créer des algues, les poissons vont mourir… L’utilisation de l’eau par les industries, ainsi que la production d’eau potable sont ainsi menacées. On doit l’éviter parce qu’au final, ce sont des quantités énormes ! Comment peut-on récupérer tout ça et le réutiliser de façon positive ? », lance-t-elle.

L’accès à l’eau potable est directement lié aux recherches de celle qui rappelle qu’actuellement, encore beaucoup trop de gens sur la planète boivent de l’eau qui n’est pas traitée, avec les risques inhérents pour la santé.

« La première priorité mondiale est que tout le monde ait accès à l’eau propre et que tout le monde ait droit à un traitement des eaux usées qui ne pollue pas l’environnement où on vit », résume Céline Vaneeckhaute. Elle œuvre notamment auprès de communautés autochtones du Nord aux prises avec de sérieuses lacunes en la matière.

« Dans notre accompagnement des villes, des municipalités, des communautés, on développe des outils d’aide à la décision. Je ne dis pas « cette solution est mieux que l’autre », mais on tente de promouvoir les alternatives les moins énergivores et les plus durables en matière de traitement des eaux usées, par exemple. On suggère des stratégies dans l’optimisation, la modélisation et le développement de nouvelles technologies. On est très pratique, selon les problématiques », résume la chercheuse.
Celle qui emploie d’emblée le « on » fait rejaillir les lauriers récemment reçus sur son équipe et ses étudiants. « J’ai une grande équipe à l’Université, ce sont des étudiants à la maîtrise, au doctorat, au post doc. Je suis leur superviseure, et donc la chercheuse principale et la seule prof, mais nous faisons un travail d’équipe », dit-elle.

Une fierté, dans sa relativement jeune carrière. « Je pense avoir réussi à inspirer beaucoup de jeunes à vouloir faire mieux, à changer les façons de faire. Dans mon équipe de recherche, les gens sont motivés! Ils travaillent sur des sujets importants et moi, je contribue à leur formation et à l’environnement », se réjouit-elle. Elle jette parfois un œil aux parcours professionnels de ses anciens pupilles.

« Je pense que je transmets ma passion du développement durable ! Je n’en ai pas beaucoup qui finissent dans le pétrole », lance avec un clin d’œil la sympathique scientifique.

Jeune maman d’un tout petit Massimo absolument craquant, elle s’investit sans relâche au nom des générations futures. « Ça me motive encore plus depuis que j’ai un enfant ! », conclut la jeune leader reconnue comme telle par ses pairs.

Gare à l’eau!

Aurons-nous toujours un accès illimité à l’eau potable? La jeune femme d’origine belge en doute. «On voit déjà beaucoup de pays qui sont en pénurie. Je viens de la Belgique et l’eau y coûte cher. On compte les minutes sous la douche!» illustre-t-elle. Avec l’augmentation des prix de l’énergie en Europe, il n’est pas rare que ses compatriotes troquent la douche chaude contre un lavage au lavabo, à l’eau froide. «On parle de la Belgique, pas de l’Éthiopie… Ici, on ne réalise pas notre chance, mais on est extrêmement gâté. Et on gaspille énormément.»

Elle rappelle que plusieurs communautés autochtones au Canada sont toujours privées d’un accès régulier et sécuritaire à l’eau potable. «C’est une ressource naturelle très précieuse. Si ailleurs dans le monde et même dans notre propre pays, il y a des gens qui manquent d’eau et que nous, on la gaspille ou on la pollue, c’est un non-sens.»

Rendre potables les eaux usées est possible, mais il faudra travailler sur les perceptions et l’acceptabilité sociale. «À mon avis, c’est une possibilité d’établir des systèmes de traitement des eaux usées autonomes qui vont permettre de faire de l’eau réutilisable, c’est même vital et idéal. Notre équipe travaille là-dessus présentement. Mais on doit convaincre les gens qu’il n’y a pas de risque et la barrière psychologique est là …»

Une collaboration avec Cascades

(EB) Parmi les projets qui occupent Céline Vaneeckhaute, on remarque une collaboration avec Cascades. «Nous travaillons ensemble pour valoriser leurs boues de papeterie», résume-t-elle. L’objectif est de parvenir à créer des biogaz et des engrais à partir de ce genre de déchets afin de les valoriser de façon optimale.

«Dans notre laboratoire, j’ai des mini réacteurs de biométhanisation où on fait des tests. On travaille à créer un «mix », une formule en mélangeant les boues avec d’autres substrats comme des déchets alimentaires, par exemple, pour créer des biogaz», indique la chercheuse qui en connaît un rayon sur la biométhanisation. Elle est d’ailleurs très impliquée dans le grand projet d’usine de biométhanisation de la Ville de Québec.

« Tout ce qui est biométhanisation est inscrit dans le plan d’action québécois sur les changements climatiques. On ne peut plus envoyer les déchets organiques aux sites d’enfouissement ou à l’incinérateur, mais ça prend les infrastructures pour faire autrement, les transformer en énergie et en engrais.»