Les honneurs pour une demeure du Ruisseau Jureux

Par Jean-Baptiste Levêque 1:51 PM - 25 octobre 2022
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La double maison du chemin du Ruisseau Jureux, à Saint-Irénée, date de 1855. Photo courtoisie

Félix-André Têtu n’a pas compté le temps qu’il a passé à restaurer et mettre en valeur son domaine du chemin du Ruisseau Jureux, à Saint-Irénée. Il l’a fait par amour du patrimoine, une valeur prônée par l’association Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec, qui l’a récompensé le 7 octobre dernier en lui remettant le prix Thérèse-Romer.

Et, fait unique, ce n’est pas la première fois que M. Têtu reçoit ce prix. Également lauréat en 2009 pour une maison située dans le Vieux-Québec, il marque ainsi l’histoire des prix de l’APMAQ en devenant le premier à avoir deux propriétés récipiendaires.

Chaque année, l’APMAQ reconnaît certains de ses membres pour leur contribution à la conservation et à la mise en valeur d’une maison ancienne. Elle attribue ainsi le prix Thérèse-Romer selon les critères suivants : le respect du style du bâtiment, le choix des matériaux et l’harmonie avec l’environnement naturel et bâti.

Le prix reçu par M. Têtu ne concerne pas seulement sa demeure de style néo-classique québécois, mais l’ensemble du domaine, incluant une autre maison attenante, une grange construite en pièce sur pièce, un barrage traversé par le Ruisseau Jureux et une cabane de pêche. « J’ai acheté le site, davantage que la maison. C’est un véritable trésor caché dans Charlevoix », considère son propriétaire.

Acquis en 2002, le domaine a été restauré de 2005 à 2018. « Il y a 20 ans, la maison n’était pas en mauvais état, mais elle manquait beaucoup d’harmonie », confie Félix-André Têtu, qui voulait qu’elle soit « au plus proche de la réalité d’antan. Tout ce qui était d’origine a été conservé. »

« Pour redonner au site son caractère, nous avons été amenés, en plus de restaurer les deux maisons, à refaire les barrages des deux étangs, la cabane de pêche de la plage, le four à pain traditionnel, le poulailler, le potager, les vergers et les ruches… et à restaurer la grange avec son atelier-loft qui abrite maintenant un vieux métier à tisser du 18e siècle », énumère M. Têtu.

Le propriétaire ne manquait pas de projets pour son domaine, mais la nature lui a aussi réservé quelques mauvaises surprises : le plus important barrage a été détruit par la queue de l’ouragan Katrina en 2005. La cabane de pêche a été emportée par une tempête en 2010. M. Tétû a tout de même décidé de les rebâtir avec une structure solide et sécuritaire.

« On n’a jamais compté aucune heure de travail », dit le propriétaire avec fierté. Seul, avec sa conjointe ou avec des travailleurs, Félix-André Têtu a mis la main à la pâte à toutes les étapes. « J’ai été chirurgien durant 38 ans, alors on peut dire que je suis manuel », dit-il avec humour.

Félix-André Têtu au travail. Photo courtoisie

L’art omniprésent

Le propriétaire précédant M. Têtu n’était nul autre que l’artiste peintre Rémi Clark. La maison était alors une auberge et il avait aménagé dans la grange un atelier d’artistes, qui fut le lieu de rassemblement de plusieurs autres peintres connus de Charlevoix : St-Gilles, Bruno Côté, Horace Champagne.

Par respect pour son prédécesseur, Félix-André Têtu a conservé l’atelier presque tel quel. Ce n’est pas sans raison : M. Têtu est un grand amateur d’art. Il est l’un des fondateurs du Jardin Harmonique, le parc de sculptures du Domaine Forget. Il compte d’ailleurs plusieurs sculptures extérieures sur son terrain.

Il y a notamment L’envol de Jean-Michel Simard, artiste des Éboulements. Représentant un vol d’oies, l’œuvre s’intègre au barrage du ruisseau et sert aussi de garde-fou.

L’envol, sculpture de Jean-Michel Simard, sur le barrage du domaine. Photo courtoisie

Et puis il y a Chant d’amour, une œuvre conçue par le célèbre Marcel Barbeau, mais qu’il n’a jamais réalisée. M. Têtu en achètera les droits et la réalisera au chantier naval de L’Isle-aux-Coudres, avec l’aide du sculpteur charlevoisien Martin Brisson.

L’œuvre Chant d’amour, d’après Marcel Barbeau, trônant devant le fleuve. Photo courtoisie

Honorer la mémoire collective

La maison du Ruisseau Jureux est une ancienne ferme établie en 1855 par un cultivateur du nom de Damas Gauthier. Au sein de la famille Gauthier, elle se transmettra de générations en générations jusqu’en 1987.

« Beaucoup de détails de l’Histoire de Charlevoix sont rattachés à ce lieu », explique M. Têtu. « Le terme « ruisseau jureux » date des écrits de Samuel de Champlain. Le domaine était aussi un poste de traite ou de dépôt de fourrures vers 1750. »

Félix-André Têtu ne manque pas d’anecdotes historiques à raconter à propos du domaine. « Les gens venaient au printemps acheter du capelan, pêché à la seine (et non à la fascine, comme on le fait à l’Anse-au-Sac ou à l’Isle-aux-Coudres, dans des eaux moins profondes). On disait « Un caplan, une patate », parce que le caplan servait aussi à engraisser les champs. »

Le chemin du Ruisseau Jureux était un lieu de passage très fréquenté. C’était l’ancienne route qui reliait Les Éboulements à Saint-Irénée. Une petite gare, ou plutôt un abri, permettait au train de s’y arrêter. Et l’embouchure du ruisseau forme une petite baie dans laquelle les goélettes pouvaient approcher du rivage.

« Il y avait beaucoup de commerce qui passait par là. Il y a même eu des bootleggers qui opéraient une distillerie illégale. Elle a d’ailleurs été fréquemment dénoncée en chaire par le curé de la paroisse », raconte M. Têtu avec le sourire.

On y retrouvait également en 1910 une des deux écoles primaires du village. Le bâtiment de l’école devint par la suite une forge. Une petite centrale électrique profitait du barrage en 1920. Dans les années 1950-60, il y avait aussi un garage de mécanique automobile…

Selon Félix-André Têtu, des gens se réfèrent encore au lieu en parlant de « Su Farnan », dit en patois des Éboulements pour désigner l’ancien propriétaire Fernand Gauthier.

Et c’est justement ça, le souhait de M. Têtu : que ce site demeure une référence pour la collectivité. « Tous nos efforts, lors des étapes de la restauration, ont été consacrés pour que le site du Ruisseau Jureux demeure dans la mémoire collective de Saint-Irénée et de Charlevoix. »

Le four à pain rappelle une boulangerie ayant déjà existé au Ruisseau Jureux. Photo courtoisie

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