Vouloir un bébé

Par Emelie Bernier 4:00 PM - 17 mai 2022
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Julie Dubuc.

La photo est apparue dans mon fil Facebook à partir du profil d’une certaine Julie Dubuc touche à tout. Une pile impressionnante de médicaments et des sachets remplis de seringues. Sept milles dollars d’hormones auto injectables. La dernière d’une longue série de tentatives pour devenir parents pour Julie et son conjoint. La transparence du message qui accompagnait la photo m’a émue. «Selon notre gentille médecin, on a moins de 5% de chances que ça fonctionne (…) On se dit quand même que la loterie fait toujours ou presque un gagnant, donc on voulait tenter notre chance quand même. Qui sait… » J’ai appelé Julie. « On raconte votre histoire? » Elle a dit oui.

La «paramédic « dont le sourire donne d’emblée envie de devenir son amie est bien connue dans le coin. La semaine dernière, sa binette apparaissait dans nos pages, car elle est l’instigatrice du projet d’installation d’œuvres d’art dans les ambulances ARTbulance. Il y a quelques années, elle militait pour l’accès à des services sages-femmes dans la région. Elle ignorait alors que son chemin vers la maternité serait un parcours jalonné d’une multitude de rendez-vous médicaux, d’injections d’hormones, d’espoirs et de déceptions, de hauts et de bas, de très très bas même.

«J’ai fait 12 inséminations artificielles infructueuses, deux fécondations in vitro (FIV), dont celle en cours, une dépression… », m’a-t-elle expliqué au milieu des petites fioles vides qu’elle s’est elle-même administrées en prévision de la ponction ovarienne. Cette étape cruciale du processus de FIV était prévue le lendemain de notre rencontre il y a quelques semaines.

“Quand je manque de courage pour l’injection, je pense au pourquoi je le fais et aussi à mes amis insulinodépendants (un en particulier ❤) qui s’injectent chaque jours de leur vie. Ça me donne le courage manquant. Vivre avec des hautes doses d’hormones, c’est comme un tsunami d’émotions un peu fuckées. Émotivité, agressivité, rage, amour intense… C’est aussi étrange parce que je m’injecte dans l’abdomen et je deviens de plus en plus enflée, je prend du poids. J’ai un petit ventre qui pourrait avoir l’air d’un début de grossesse sans en être un et la tornade d’hormone qui vient avec…”, écrivait le 30 avril Julie Dubuc sur sa page Facebook publique, Julie Dubuc, touche-à-tout.
On peut suivre d’ailleurs suivre pas à pas son parcours sur cette page.

En vouloir ou pas

L’éprouvant processus de procréation assistée à répétition s’appuie, forcément, sur le désir d’enfant.
Pour Julie, l’appel de la maternité n’était pourtant pas une évidence.

« C’est bizarre à dire, mais pour Simon, c’était vraiment important d’avoir des enfants. Il ne voyait pas sa vie sans. De mon côté, je m’étais posé la question, plus jeune, parce que j’ai toujours été pragmatique et j’en étais venue à la conclusion que si j’étais avec quelqu’un et que ça « fittait » dans notre parcours, je pourrais en vouloir, mais je n’avais pas le désir viscéral de devenir mère. J’acceptais le destin… »

Le « quelqu’un » et le « fit dans le parcours » étaient toutefois parfaits avec Simon. «Quand on a commencé à s’essayer, le désir d’avoir un enfant a grandi », résume-t-elle. Julie avait alors presque 35 ans. « Je suis dans le milieu médical. Je savais qu’à cet âge-là, après six mois, si tu ne tombes pas enceinte, tu consultes. Alors on l’a fait assez immédiatement », raconte-t-elle. Les premiers d’une longue série de rendez-vous sont alors inscrits à l’agenda.

Résultat des courses : infertilité masculine. Les médecins avaient confiance de pouvoir déjouer le pronostic et le couple s’est lancé tête baissée dans l’aventure de la procréation assistée.

« On a été là-dedans durant cinq ans. Au début, ça a commencé tranquillement, puis c’est vite devenu tous les mois, tous les cycles. Ça a pris beaucoup de place. Tous les congés étaient dédiés aux rendez-vous, il y avait la prise d’hormones avec les effets collatéraux, les déceptions en série. On ne pouvait pas voyager dans le Sud. Je ne pouvais pas aller voir ma famille en Abitibi, au cas où le cycle arriverait… »

Le corps et la tête fatigués

Tout ça lui a joué dans la tête, le corps. « Moralement, physiquement, ça m’a usée. Pour la fécondation in vitro, la médication est de la bombe. C’est difficile sur le corps. Et j’étais prise dans un cercle de fatigue, de tristesse… L’amour-propre prend le bord et j’ai fait un arrêt de travail pendant trois mois. J’ai voulu prendre soin de moi pour moi. Pas pour avoir un bébé, juste pour prendre soin de moi. » Elle a reçu de l’aide psychologique. Je me disais, «si je n’ai pas d’enfant, mes souvenirs vont aller où?» » La psy l’a aidée à faire la paix avec ce qu’elle ne pouvait pas contrôler.

Puis la pandémie l’a ramenée au front auprès de ses collègues.

Le couple de Simon et Julie a grandi à travers tout ça. « Pour beaucoup de couples, le processus est difficile. Nous, ça a été l’inverse. On a fait ce chemin à deux et on est meilleur ensemble. On avait de la misère à parler de nos émotions et on est rendu bon! On se dit tout sans laisser les choses s’envenimer. Et peu importe l’issue, on va avoir cet acquis. Notre équipe est plus forte que jamais.» Les amoureux ont eu l’envie et l’énergie d’entreprendre une ultime FIV, cette fois avec un donneur externe. Ils ont vécu l’expérience surréaliste de magasiner dans une banque de sperme. Couleur des yeux, des cheveux, groupe sanguin… L’option qu’ils ont choisie permet même d’avoir des enregistrements vocaux du donneur et la possibilité, si l’enfant le souhaite un jour, de le rencontrer.

« Moi, je ne voulais pas le donneur externe. C’est avec ton chum que tu veux faire un enfant! Puis je me suis dit, je serais prête à adopter un enfant, pourquoi ne pas adopter des spermatozoïdes pour vivre tout ce que la maternité représente, la grossesse, l’accouchement?»

Un projet de vie qui a un prix

Les deux FIV de Julie ont coûté cher. Lors de la première, le processus n’était pas encore remboursable par l’État.
«On venait d’acheter la maison, on ne se voyait pas faire un prêt pour ça. Simon a eu l’idée un peu bizarre de faire une campagne de sociofinancement. Les gens autour de nous étaient au courant de notre démarche, mais pas tant alors ça nous permettait aussi d’expliquer plein de choses en même temps», raconte Julie.
Le «love money» a financé le projet des amoureux qui ont été les premiers surpris.

«On a payé au complet notre FIV avec les dons, c’était toute une vague d’amour… Quand tes proches te donnent une partie de leur paye parce qu’ils t’aiment, parce qu’ils veulent que ça marche, c’est touchant! » À la seconde, bien que les FIV soient désormais remboursées par le gouvernement, Julie n’avait plus le droit à l’aide financière en raison de son âge. « J’ai 41 ans, l’aide financière arrête à 40. On a pris une marge de crédit! », résume-t-elle.

Taboue, l’infertilité?

Au fil des ans, Julie, qui s’est inscrite sur divers groupes de parents dans leur situation, a réalisé à quel point l’infertilité touche beaucoup, beaucoup de monde. C’est pour cette raison qu’elle se raconte sans filtre, avec l’approbation de sa tendre moitié.

« Quand j’ai commencé mon parcours il y a 7, 8 ans, j’aurais aimé avoir des témoignages. J’aurais eu moins peur, j’aurais su à quoi m’attendre. En lançant la campagne de sociofinancement en 2018, j’ai eu des dizaines de témoignages, des amis, des proches de mon enfance, de la famille, qui vivaient aussi avec l’infertilité… Ça m’a tellement aidée à me sentir moins seule!»

L’infertilité n’est pas une maladie honteuse, mais semble toujours auréolée d’un tabou.

«Pourquoi on en parle si peu dans la vie de tous les jours? C’est quoi la différence avec un cancer, par exemple? C’est intime, l’infertilité, mais un cancer aussi. Ce que je mets sur Facebook, cette entrevue, c’est ma petite part. Si je peux aider quelqu’un dans son parcours, tant mieux», glisse Julie.

En parler permet de relativiser et d’enlever une part de la pression qui, immanquablement, pèse sur les épaules de ceux qui tentent de devenir parents avec l’aide de la science.

« Quand on parle d’infertilité, on entend souvent les mots « réussite » et « échec », je ne vois pas ça comme ça. Ça n’a rien à voir avec la volonté. Si ça marche pas, ce n’est pas parce qu’on n’a pas assez voulu, parce qu’on n’en a pas fait assez, ce n’est pas non plus parce que j’ai bu ce verre ou parce que j’ai pas fait de jogging, ou parce que je ne suis pas allée assez voir l’acupuncteur… Est-ce que j’aurais pu faire mieux? Ça n’aurait rien changé. J’ai compris aujourd’hui que ce n’est pas ça qui fait la différence. Ce n’est pas dans mon pouvoir. »

Au moment de commencer l’écriture de ce texte, l’issue de l’ultime tentative du couple pour donner la vie n’était pas connue. Puis, avant de mettre le point final, j’ai contacté Julie via Messenger. « Justement, je voulais t’écrire. Malheureusement, l’histoire de nos sept ans en clinique de fertilité prend fin. (…) On souhaitait bien fort que le miracle nous touche, mais on était bien conscient que le risque « d’échec » était bien plus élevé. On est un peu triste, mais bien fier de nous.»

Bien d’autres projets naîtront, j’en suis sûre.

« Un tour du monde, peut-être », écrit Julie.

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