L’envers de la pancarte électorale

Par Emelie Bernier 3:57 PM - 3 mai 2022
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La députée de Charlevoix-Côte-de-Beaupré, Emilie Foster.

Derrière le large sourire d’Émilie Foster se cachent des blessures qu’elle n’avait jamais révélées publiquement jusqu’à maintenant. Alors que sa vie politique tire à sa fin (elle a annoncé qu’elle ne briguerait pas un second mandat), la députée de Charlevoix-Côte-de-Beaupré a jugé opportun de lever le voile sur l’envers de la femme publique au fini lisse. Car sous le vernis se cachent quelques craquelures qu’elle a su calfeutrer au fil des ans, mais qu’elle ne renie pas pour autant. Et qui ont fait d’elle la femme qu’elle est aujourd’hui.

« La démarche n’est pas facile à faire, mais je tenais à la faire avant de quitter… Ça fait partie des legs que je veux laisser », confie Émilie Foster.

La Semaine de la santé mentale, qui se déroule du 2 au 8 mai, a servi de contexte. Les organismes de sa circonscription œuvrant auprès des personnes aux prises avec des dépendances ou des problèmes de santé mentale et auprès de leurs proches ont été l’ultime motivation. « Si je peux aider une, deux, trois personnes à reprendre leur vie en main, à aller chercher de l’aide, à se faire confiance, à se choisir, le jeu aura valu la chandelle », confie-t-elle.

L’envers de la pancarte

Lorsqu’on les voit, tout sourire, sur leurs pancartes électorales, dans les médias ou dans quelque événement public, il est facile de présumer que nos élus sont nés la cuillère d’argent à la bouche.

Ce préjugé-là, tenace, est peut-être le premier qu’Émilie Foster veut pulvériser. « On met les élus dans une classe à part, comme si nous nous étions rendus là parce que nous venons d’un milieu privilégié et qu’on n’a jamais souffert de quoi que ce soit. Quand j’étais adolescente, jeune adulte, je n’aurais jamais pensé être un jour députée d’une circonscription… »

Sans vouloir ternir la mémoire de la personne qui l’a mise au monde, Émilie Foster se sent prête à raconter un pan douloureux de son enfance.

Le poids du monde

«Ma mère est décédée aujourd’hui et je n’en aurais jamais parlé de son vivant. . J’aimais ma mère, mais elle avait de très gros problèmes d’alcool. J’en ai vécu de toutes les couleurs dès la petite enfance. J’ai vécu des choses extrêmement difficiles. Mais heureusement, et je tiens à le dire, j’ai eu un très bon papa qui a tout fait pour moi », glisse-t-elle, un nœud dans la gorge.
« L’émotion remonte quand j’en parle… J’étais fille unique et j’ai été la mère de ma mère. Quand on part avec cette responsabilité dans la vie, ça peut devenir un handicap. »

Le temps semble un instant suspendu. Dans la tête de l’élue, les souvenirs se bousculent peut-être, mais elle reprend vite l’aplomb qu’on lui connaît. «J’ai trouvé refuge à l’école. Les études ont été mon exutoire! Au fil des ans, j’ai compris l’importance de l’éducation. Je pense que la vie de ma mère aurait pu être différente si elle avait eu la chance d’être scolarisée au-delà de son secondaire trois. Elle a été dans une situation de dépendance toute sa vie. »

La jeune Emilie, elle, porte à l’époque le poids de son petit monde sur ses épaules. Hyperperformante à l’école, dévouée à la maison, elle peine à surnager.

Le 22 décembre 1998, une main invisible la tire d’un coup vers les profondeurs. La descente est douloureuse, incompréhensible… et durera longtemps, très longtemps.

Perdre pied

« J’ai 18 ans. Je travaille au cinéma à Baie-Comeau. C’est le rush de 21 h, le 22 décembre. Je m’en souviens très bien. Et là, je suis en train de remplir une liqueur à la fontaine et je suis prise de gros vertiges soudains. Le cœur me débat, je pense que je vais m’évanouir, mais je suis entourée de collègues, on est dans le jus… Je veux pas les laisser tomber, mais je me mets à trembler comme une feuille… » Elle imagine les pires scénarios.

«Je fais ma première crise de panique, mais évidemment, je n’ai aucune idée que c’est ça. Je pense que je suis en train de mourir. »

Le lendemain, elle se rend à l’hôpital. Le médecin qu’elle rencontre alors ne met pas, mais alors là pas du tout, le doigt sur le bobo. «Ça faisait un moment que j’avais un problème avec mes règles. Il m’a juste dit « tu es sûrement juste fatiguée pour cette raison». Il m’a prescrit des contraceptifs oraux, deux semaines de congé du cinéma et il m’a retournée à la maison. Jamais personne à l’époque n’a évoqué la crise de panique. »


Un calvaire de trois ans

Les trois années suivant ce premier épisode seront semées de crises de plus en plus fréquentes.
Et la jeune adulte sera habitée par la peur constante de revivre cette insoutenable sensation de perdre pied.
« J’étais dans un goulot d’étranglement. Pendant trois ans de 1998 à 2001, j’ai fait des crises dans toutes les situations. En classe, au cégep, à l’université, je m’assoyais systématiquement sur le bord des portes pour pouvoir me sauver. Chaque fois que je faisais une crise, je pensais que j’allais mourir… »

Ses proches, son père et son amoureux en tête, ne se doutent de rien. « Quand je sentais la crise venir, je disparaissais soudainement et je m’inventais des défaites… J’avais peur. Partout. Tout le temps. »

L’épiphanie

Un jour, alors qu’elle écoute la télé, on diffuse un reportage sur le trouble panique anxieux. Elle vit quelque chose de l’ordre de l’épiphanie.

«Le savoir ne règle pas le problème, mais ça aide à se mettre en mode solution. C’était en 2001, je faisais des crises systématiquement. Je me suis pointée au sans rendez-vous et j’ai prié, littéralement, pour tomber sur un médecin gentil. Je lui ai dit d’emblée : «je pense que je fais du trouble panique anxieux depuis 3 ans »! Mon vœu a été exaucé. Ce médecin-là m’a prise au sérieux et ça été le début de la guérison. » À partir de ce moment-là, des moyens se sont mis en place, dont une médication.

« J’ai pris des antidépresseurs, de 21 à 28 ans. Comme plusieurs personnes qui sont médicamentées, j’ai essayé d’arrêter. Trois fois. C’était terrible. La dépression envahissait ma vie, je ne m’endurais plus. »

La croisée des chemins

À 25 ans, elle entreprend une psychothérapie. « J’ai travaillé sur moi, mon enfance, mon passé. J’ai découvert que j’avais un TDAH. Parce que je réussissais bien, ça n’avait jamais été détecté. »

Elle qualifie cette thérapie cognitivo-comportementale de « turning point », de croisée des chemins. À 28 ans, elle cesse toute médication. Elle travaille alors comme agente en assurance de dommage. Un emploi stable, très stable. Sans danger. Mais sans joie.

« La thérapie m’a permis de réaliser que j’avais choisi un travail où je me protégeais. Je passais mes journées assise dans un bureau fermé, au téléphone. Je n’avais pas besoin de m’exprimer devant un public. Mais je n’étais pas sur mon X! » À 28 ans et des poussières, elle décide, enfin, de s’écouter. «J’ai choisi de retourner à l’école dans un domaine que j’aimais, qui me passionnait, les Sciences politiques. J’ai enfilé ma maîtrise, mon doctorat. Et ça va fait plus de 10 ans que je travaille dans ce milieu où je me mets en danger quotidiennement, mais j’adore ça! »

Elle a appris à dompter son anxiété et n’a jamais repris de médication. « La gestion de l’anxiété est encore un défi. Il faut que j’aie des projets, que je me tienne occupée et ça fonctionne très bien! M’investir dans mon domaine, faire des choses que j’aime et qui me passionne, ça été ma clé. Sincèrement, jamais je n’aurais pensé me rendre où je suis », confie-t-elle.

Elle ne cache pas sa fierté. « Ça se peut, venir d’un milieu socioéconomique moins favorisé, avoir un parent aux prises avec une dépendance, des troubles paniques et réussir quand même! J’ai fini par m’en sortir. C’est ça, mon message. Si un ou deux jeunes le lisent et que ça les motive à aller chercher de l’aide, je me dis que je n’aurais pas fait ça pour rien. Se faire aider ouvre des portes que tu n’aurais pas ouvert tout seul. Les ressources existent! J’ai vu un paquet de monde, dont ma mère, s’enfoncer. Aller cherche de l’aide, ça change la vie! Je suis députée et je suis passée par là, aller voir un psy! Y’a pas de honte à se faire aider. »

Elle a une pensée pour ceux qui, comme elle jadis, subissent les contrecoups de la maladie d’un proche. Aujourd’hui, Émilie Foster, même si elle a annoncé sa retraite de la politique, va bien.

« À 42 ans, je peux dire « oui, j’ai une nature anxieuse et je la gère ». J’y parviens sans médication alors que dans ma vingtaine, je me disais que je serais prise avec ça toute ma vie, j’en pleurais… mais je suis une battante. On l’est tous. Personne ne veut être malheureux toute sa vie! Ça peut passer, ou tu peux apprendre à vivre avec. En allant chercher de l’aide, tu te donnes des outils pour fonctionner, rendre ta vie plus que vivable, agréable, passionnante. Demander de l’aide, c’est un signe d’intelligence.»

Elle est consciente que ce témoignage fait voler en éclat l’image de femme forte qu’elle projette dans la sphère publique. « Les gens me voient comme la femme solide, performante, forte, mais les politiciens ne sont pas des gens désincarnés. Ils ont un bagage, un vécu. Ils sont humains. »

Des organismes pour vous aider

La Marée
lamaree.ca
418-665-0050

L’Éveil Charlevoisien
leveilcharlevoisien.com
418-201-1142/418-435-6200

Vision d’Espoir de Sobriété
visiondespoirdesobriete.com
418-435-2332

Ressource Genesis
ressourcegenesis.org
418-665-3912

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