Les souvenirs heureux du Dr Walker, médecin en résidence au Manoir Richelieu

Par Emelie Bernier 4:00 PM - 19 avril 2022
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Ken Walker et «Bruce de Montréal», un patient exceptionnel qu’il a pris beaucoup de plaisir à soigner.

À l’invitation du Fairmont Le Manoir Richelieu, le médecin Ken Walker est revenu à la source d’une carrière prolifique. Un voyage dans le temps et les méandres de la mémoire attendait le premier médecin résident de l’institution sise sur le boulevard des Falaises…

En 1950, alors étudiant en chirurgie au Montréal General Hospital, Dr Ken Walker, qui se cherche justement un emploi d’été, voit passer une petite annonce sur un babillard. Le Manoir Richelieu, dans Charlevoix, et le Château Lake Louise, en Alberta, cherchent tous les deux un médecin en résidence pour la saison estivale. «J’avais deux ans d’études en chirurgie complétés, j’avais besoin d’argent pour poursuivre. J’ai appliqué pour les deux emplois et je me suis dit : «Ah, voilà l’occasion de passer un bel été tranquille dans un beau décor», se remémore en riant le médecin, aujourd’hui âgé de 98 ans.


Dès la session terminée, il grimpe à bord d’un bateau de la Canada Steamship Line, direction La Malbaie. Le voyage l’ayant fatigué, il n’a d’autre intention que d’aller se coucher pour être frais et pimpant le lendemain et découvrir son milieu de vie… « Le premier 24 heures n’a vraiment pas été ce à quoi je m’attendais », lance-t-il, le qualifiant littéralement « d’infernal ».


Alors qu’il s’apprête à s’endormir, vers 21h30, le téléphone sonne dans sa chambre. «On me dit « vous devez venir immédiatement, il y a eu un accident !» Un homme avait trop bu et avait balancé une table sur un autre… » Celui-là gisait, inconscient, sur le plancher. Le médecin a vite mis sa fatigue de côté pour accompagner la victime de l’altercation jusqu’à l’Hôpital de La Malbaie, où il n’avait jamais mis les pieds et ne parlant pas un traître mot de français. « Je l’ai accompagné pour les rayons X. Heureusement, il n’y avait pas de fracture… Il a repris connaissance et je suis finalement revenu à l’hôtel à 4h, complètement épuisé… »


Le répit est toutefois de courte durée. «À 6h du matin, le téléphone sonne de nouveau. « Vous devez descendre, un électricien vient d’avoir un accident de monte-charge… » En raison ‘une mauvaise manœuvre, le pauvre homme s’était brisé le dos. On a dû le transférer à Québec. J’ai malheureusement appris plus tard qu’il n’a plus jamais remarché… »
« So long », le petit été tranquille, se rappelle avoir pensé le médecin.


Mais le rythme soutenu des premières 24 heures s’est calmé. «Et ç’a été les plus beaux étés de ma vie! », lance avec un grand sourire le presque centenaire à la mémoire vive.

Caylen Walker, Devin Walker (debout), Robert Walker, Brett Walker, Diana Walker, Ken Walker, Susan Walker et John Walker ont apprécié chaque minute de leur séjour auFairmont Le ManoirRichelieu, un lieu de mémoire pour Ken Walker qui n’y avait pas mis les pieds depuis 70 ans.


Après un premier séjour de 3 mois en 1950, Dr Ken Walker est revenu passer un mois par été durant 4 ans.
«C’était intéressant, parce que ça me permettait de payer mes études. Je recevais 1000$ par mois et une année d’université en coûtait entre 600$ et 1000$. C’était une période des plus intéressantes! J’étais célibataire, on me donnait trois repas par jour, on faisait mon lit… Je n’avais aucune dépense! Je n’ai plus jamais vécu cela…», lance-t-il avec un grand éclat de rire.


Logé, nourri, blanchi, et plutôt bien logé, dans le plus bel hôtel à des milles à la ronde? Pas mal pour un boulot d’étudiant!


Vivre à l’hôtel lui a permis de se faire de nombreux amis, non seulement parmi les employés, mais aussi parmi les clients. « C’était une époque différente. Les clients restaient à l’hôtel longtemps! J’étais un « bachelor », je n’ai jamais eu autant de plaisir! », rigole-t-il, ajoutant, badin, que les « frenchs girls » étaient une bonne source de motivation!
Parmi les clients célèbres qu’il a côtoyés se trouve le sénateur américain Richard Taft, avec qui il a développé une relation privilégiée. « Sa femme Martha avait fait un AVC peu de temps avant leurs vacances et je me suis occupé d’elle. M. Taft était un homme charmant. Pierre-Elliot Trudeau était aussi client du Manoir. Il était très actif! On le voyait souvent plonger à la piscine, il allait danser… »


Dr Walker était non seulement le médecin des clients de l’hôtel, mais aussi celui des employés et de plusieurs résidents de La Malbaie qui avait entendu parler du gentil Dr Walker. « J’avais un horaire très intéressant, de 10h à midi et de 18h à 20h. Je demeurais en contact constant parce que j’étais le seul médecin, mais je pouvais aller faire un peu de golf, un peu de tennis, m’étendre sur le bord de la piscine…et voir des patients du coin. »

Dr Ken Walker et son fils aîné Robert à la piscine du Manoir Richelieu. Courtoisie


À son dernier mandat au Manoir Richelieu, sa femme et son fils aîné, Robert, l’accompagnaient. « J’avais deux ans, je n’ai aucun souvenir », rigole ce dernier. M. Walker était fort bien accompagné lors de son récent séjour au Fairmont Le Manoir Richelieu du 7 au 9 avril puisque son épouse, ses trois fils, sa fille, deux de ses petites filles étaient de la partie. « Nous avons été merveilleusement accueillis », souligne Dr Walker, à qui on avait réservé la majestueuse suite présidentielle.

Dr Ken Walker et son épouse, Susan.


Quelques années plus tard, le Dr Walker a été diplômé de la Harvard Medical School, à Boston. C’est en Ontario qu’il s’est installé avec sa famille et fait carrière. Curieux, érudit, il est aussi un habile communicateur. « Je suis devenu journaliste médical, tout en poursuivant ma pratique. J’ai opéré jusque dans mes 70 ans, j’ai vu mon dernier patient à 87 ans. » On peut lire ses écrits et tous les détails de sa palpitante biographie sur un site bien garni, www.docGiff.com. À ce jour, il continue d’écrire une chronique hebdomadaire.


Parmi tous les clients qu’il a soignés durant ses étés au Manoir Richelieu, un se distingue particulièrement. « Il est arrivé ici avec une infection à un pied. C’était un patient très docile, que j’ai suivi pendant quelques jours », explique-t-il avant de dévoiler la photo dudit patient, Bruce de Montréal, un charmant… labrador.


Pneumonies, crises cardiaques, accidents de cuisine, chevilles foulées et autres chutes, le bon docteur en résidence en a vu de toutes les couleurs au Manoir Richelieu, mais aucun patient n’est décédé sous ses soins. «Il y a bien ce vieux pasteur baptiste qui est passé si proche du trépas qu’on se demandait comment nous évacuerions le corps… mais il ne voulait pas mourir et son état s’est amélioré! Puis, un jour, un ministre sous Louis St-Laurent (premier ministre du Canada de 1948 à 1957) a fait une crise cardiaque ici. Je l’ai accompagné et traité quelques jours jusqu’à ce que le premier ministre envoie son propre médecin pour voir si je faisais bien le travail. J’ai été flatté qu’il me dise qu’il n’aurait pas fait mieux…Il m’a tout de même dit: « vous avez fait tout ce qu’il fallait, mais il va mourir quand même… » Il est mort en effet quelques années plus tard. »

Une autre photo d’époque. Courtoisie


Dr Walker, les yeux brillants, le sourire avenant, se raconte en anglais. Ses quelques étés sous le soleil de la Malbaie ne lui ont pas permis de maîtrise la langue de Molière… « J’ai appris quelques phrases pratiques, sans plus. On se débrouillait pour se comprendre », résume-t-il.


En près de 70 ans, il n’avait jamais remis les pieds au Manoir Richelieu, théâtre on ne peut plus magnifique où il a fait ses premières armes de médecin. À 98 ans bien sonnés, il sait bien qu’il ne pourra plus attendre aussi longtemps avant d’y remettre les pieds. «J’ai toujours voulu revenir et grâce à l’invitation du Manoir, ce souhait est devenu une réunion familiale. Je n’ai que de bons souvenirs ici », conclut le médecin.

Et de nouveaux souvenirs heureux s’ajoutent à une longue liste…

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