Un DOCFest de L’Isle-aux-Coudres sous l’égide de Fernand Dansereau, l’éternel pigiste

Par Emelie Bernier 7:00 AM - 6 octobre 2020
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Fernand Dansereau et Denys Desjardins lors du DOCFest à l’Isle-aux-Coudres.

Invité d’honneur du DOCFest, audacieux festival autour du documentaire qui s’est tenu pour la 2e année consécutive à l’Isle-aux-Coudres à la fin septembre,  Fernand Dansereau est revenu avec bonheur sur cette île qui a vu naître le cinéma direct québécois.

«Avant le cinéma direct, l’Office national du film, où j’ai longtemps travaillé,  faisait des films sur les Canadiens pour leur montrer comment il vivaient. Avec Pour la suite du monde, on a voulu entrer en relation avec les gens à qui on demandait de passer devant la caméra et ainsi développer un cinéma de relation, qui raconte la rencontre entre le cinéaste et le sujet. La plus fine fleur de cela, le plus beau produit, c’est Pour la suite du monde. Il s’est fait beaucoup de films par la suite, mais rien n’est allé plus loin », estime bien humblement Fernand Dansereau.

Il se rappelle les prémisses de cette ambitieuse et innovante aventure, l’alliance créative puissante,  quoi que parfois houleuse, entre les maîtres à bord Pierre Perrault et Michel Brault, le travail dans l’ombre, mais fondamental, du monteur et orfèvre Werner Nold, les petits miracles accomplis au son par Marcel Carrière… Une tempête parfaite.

Et un film passé à l’histoire.  Le DOCFest-Pour la suite du DOC en est une énième preuve. Et Fernand Dansereau la salue, surtout que les circonstances de sa seconde édition en auraient découragé plus d’un. «Un festival documentaire sur le web est une aventure toute nouvelle, une première tentative de quelque chose qui devrait, à mon sens, se développer. Dans 50 ans, on va parler du DOCFest comme on parle des premiers films du cinéma direct : quelque chose qui commençait, avec parfois des pépins techniques, des défis, mais porteur d’avenir. Je les trouve magnifiques, les artisans derrière ça. Ils sont tellement investis! Ce qu’ils font est séminal. C’est une graine qui va se développer en arbre immense », louange celui qui connaît le poids des mots.

Fernand Dansereau et Denys Desjardins. Photo Anik Salas

92 ans, une pandémie, des projets

Fernand Dansereau a fait son entrée a l’ONF en 1955. En 65 ans de carrière, il a porté presque tous les chapeaux : producteur, scénariste, auteur, monteur, réalisateur… Scénariste notamment des séries Les Filles de Caleb et du Parc des Braves, il a travaillé tant en fiction qu’en documentaire. L’acte créatif est selon lui la principale source de joie et cette assertion est d’ailleurs la base sur laquelle est construit son prochain projet documentaire.

«Je travaille sur la joie que génère tout acte de création, quand vous posez un geste dans votre vie quotidienne qui installe quelque chose de neuf dans la réalité. Je me suis toujours servi du cinéma pour chercher des réponses aux questions que la vie me posait.  Je ne vois pas pourquoi je lâcherais ça », confie l’éternel pigiste qui n’envisage pas la retraite.

“J’irai revoir ma Gaspésie”, une oeuvre de Fernand Dansereau

Peintre sans prétention autre que celle de donner libre cours à un élan qui l’habite depuis l’enfance, Fernand Dansereau sent que le temps le rattrape, mais il continue d’avancer, de créer, de vivre, pandémie ou pas.

«C’est évident que ça affecte tous,  mais de façon différente. On est des êtres sociaux et tout à coup,  les liens sociaux ne sont pas rompus, mais contraints, restreints. On ne mesure pas encore très bien les impacts  de tout ça. Je soupçonne que les valeurs de notre société sont un peu déplacées et qu’on va voir émerger une société un peu plus solidaire… », dit-il. À 92 ans, il a vraisemblablement atteint une certaine sagesse qui donne envie de le croire. « Comme toutes les personnes âgées, je découvre de nouvelles choses. L’importance de la relation que j’ai avec les autres, mes enfants, mes amis, les gens neufs que je rencontre… Tout ça prend plus d’importance que ça prenait autrefois. Comme toutes les personnes qui sont proches de la mort, des grandes maladies, je suis obligé de réfléchir au sens de ma vie, à la vie en soi.»

Et chaque jour, choisir à nouveau la joie.

Un DOCFest à bout de bras

Denys Desjardins n’en revient toujours pas d’avoir pu compter sur la présence de Fernand Dansereau lors de la seconde édition du tout jeune DOCFest. «On est encore sous le coup de l’émotion! C’est un immense honneur de l’avoir reçu et d’avoir pu compter sur l’accueil toujours fidèle des gens de l’Isle aux coudres.  Fernand, c’était la clef! Lorsqu’il a décidé de venir, on a décidé de tenir l’événement. C’est déjà un acte de résistance, un festival comme ça… et encore davantage en temps de pandémie », résume M. Desjardins.

La présence de cette figure de proue du cinéma et de la télévision du Québec a adouci les quelques embûches techniques d’un festival à l’audience principalement virtuelle. « Techniquement, c’est tout nouveau. Tous les festivals se lorgnent les uns les autres… De notre côté, nous avons choisi d’avoir des invités en présentiel et une audience sur place limitée aux gens de l’île, avec une diffusion sur Facebook live, qui a quand même atteint 3000 personnes », résume M. Desjardins, satisfait.

Photo Catherine Dumas

Cette expérience permet d’envisager un auditoire beaucoup plus large pour les prochaines éditions, mais le festival est à L’Isle-aux-Coudres pour y rester. « Ce n’est pas très réaliste de faire quoi que ce soit si ce n’est pas à l’ile. Le DOCFest ne peut exister que si on va au bord des battures. C’est un festival 100% Isle- aux-Coudres et on veut le refaire. La réponse sur le web nous a surpris et on ne pourra pas reculer sur l’aspect en ligne, qui ouvre beaucoup de possibilités,  mais on veut aussi que ce soit un événement pour les gens de Charlevoix », ajoute M. Desjardins. Avec la toute petite équipe qui porte le DOCFest à bout de bras, il rêve déjà la 3e édition.

Le cinéma autochtone pourrait y avoir droit de cité et on espère pouvoir ramener les jeunes passionnés de cinéma sur l’île l’an prochain. «On a des captations de tout ce qui a été fait cette année. Ce sera remanié et mis à la disposition des écoles de cinéma. On veut toucher les jeunes, car le DOCFest a cette mission-là aussi! Et Fernand Dansereau, c’est un peu notre père Abel de Pour la suite du monde. Ça prend des Léopold pour suivre les traces », conclut Denys Desjardins.

 

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