La Saint-Jean de Louise Beaudoin

Par Emelie Bernier 6:30 AM - 24 juin 2020
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La Fête nationale au parc Joseph-Paré, en 2012.

Charlevoisienne d’adoption depuis plusieurs décennies déjà, l’ex-ministre de la culture du Parti Québécois Louise Beaudoin est arrivée dans son refuge près du fleuve il y a quelques semaines. Elle s’y est confinée durant 14 jours avant de reprendre ses bâtons de golf et ses déambulations sur ce territoire qu’elle chérit. Pour souligner la fête nationale, dite de la Saint-Jean, le Charlevoisien  s’est entretenu avec cette indépendantiste de la première heure qui nous parle du Québec, du vivre ensemble et de ses plus belles Saint-Jean.

Pandémie oblige, la fête nationale aura des airs tristounets cette année, mais l’ex-politicienne considère que cette fête a encore sa raison d’être.

«Oui, la fête nationale a un sens! Il y a des fêtes nationales dans le monde entier, dans chacun des pays. Cette année, au-delà de la pandémie, on sent bien que les gens ont besoin de se rassembler », dit-elle. La femme, qui partage son temps entre Charlevoix et Montréal, déplore toutefois que « raisons communes » pour le faire, comme aurait dit Fernand Dumont, soient de plus en plus difficiles à trouver, surtout sur l’île de Montréal, une entité qui se distingue de plus en plus du reste du Québec, constate-t-elle.

« Je vis à Montréal la moitié de l’année et ici 3 ou 4 mois. Le reste du temps, j’essayais de voyager… Ce qui me frappe, c’est que sur l’île de Montréal, on trouve davantage de raison de nous distancier que de nous rassembler. »

Le trésor de la langue

« La langue, c’est le cheval de bataille! Et personne ne va prétendre que la présence du français s’accentue… Une seule génération a vraiment pu vivre en français et c’est la mienne! Avec la loi 101, l’éducation, le commerce, le travail pouvaient enfin se faire en français! Je vais avoir 75 ans et ce que nous croyions acquis est en train d’être totalement remis en question, différemment. Cette fois, l’oppression ne vient plus des anglophones riches et prospères, ce n’est pas du tout cette dynamique, mais étant donné la situation démographique, on a de la difficulté à créer une mixité. Si on ne se mélange, il ne peut pas y avoir d’intégration », illustre Louise Beaudoin.

Elle évoque cette visite dans une école du quartier Notre-Dame-de-Grâce à Montréal, où 95% des élèves étaient des nouveaux arrivants. La langue maternelle la plus parlée dans cette école? Le tagalog! « On a de la misère à franciser les néo-Québécois. L’intégration culturelle et générale sont difficiles parce que nos institutions ne favorisent pas la mixité sociale », déplore-t-elle.

L’enseignement de l’Histoire n’a pas non plus, selon elle, la place qui devrait lui revenir. « Si on ne réussit pas à transmettre, en quelque sorte, notre histoire et notre langue, à insuffler un sentiment d’appartenance, on aura raté quelque chose d’important », dit celle qui n’a rien perdu de sa verve lorsque sont abordés les sujets qui ont été les chevaux de bataille de sa vie tant civile que politique.

Elle fait l’apologie du vivre ensemble. « Quand on insiste trop sur ce qui nous distingue, nos différences, on passe à côté de ce qui nous est commun, ce qui nous rassemble. Il faut qu’on ait une vision de ce type-là. Une grande partie du débat sur l’appropriation culturelle s’est faite en anglais. Devant le Théâtre du Nouveau monde, la moitié des pancartes étaient en anglais. Quand j’entends que « c’est le message qui compte, peu importe la langue », je me dis on a échoué… Petit à petit, le français s’éloigne du statut de langue commune.»

Dans Charlevoix, elle ressent moins ce schisme qui l’attriste. « J’aime être ici pour ça, ça repose de ces combats infinis, qui n’ont jamais de fin… »

La Saint-Jean avec le Saint-Laurent

Parmi les plus beaux souvenirs de fête nationale, Louise Beaudoin évoque sa vingtaine et les « grandes Saint-Jean » sur le Mont Royal dans la métropole et les Plaines à Québec. «Il y en a eu des mémorables… ».

Les fêtes de quartier organisées alors qu’elle était députée de Rosemont, entre 2008 et 2012, ont aussi une place spéciale dans son cœur. « On faisait un spectacle sur une scène dans un beau parc à Rosemont, on faisait venir des artistes de la relève. Je me rappelle qu’au lieu du traditionnel discours patriotique un peu formel et officiel, la slammeuse Amélie Prévost avait livré un texte en slam en 2011… C’est un souvenir très vif », relate-t-elle. (voir texte ci-dessous)

«L’Autre Saint-Jean» dans Rosemont a laissé de vifs souvenirs à l’ex-députée de cette circonscription montréalaise devenue Charlevoisienne d’adoption.

Ces Saint-Jean «formidables, à dimension humaine » demeurent un souvenir très vif pour Louise Beaudoin. « Je sentais la fibre vibrer! Personnellement, je ressentais cela encore beaucoup plus fortement là qu’au parc Maisonneuve avec des milliers et des milliers de personnes! »

Cette année, elle compte répondre à l’invitation lancée sur les réseaux sociaux et sortir sur son balcon à 18h pour entonner l’emblématique « Gens du pays » de Vigneault.

« Ce serait bien que ça résonne, de Natashquan à l’Outaouais, de l’Abitibi aux Iles… Moi, je vais rester ici bien tranquillement. Je suis tellement bien, je vis l’apaisement du grand fleuve dans mon tête à tête avec le Saint-Laurent… »

 

 

Nous sommes
Par Amélie Prévost

Nous sommes un soleil d’hiver
Dont la lumière aveuglante réfléchit sur une page blanche.
Nous sommes un soleil d’hiver,
Celui qui ne sait pas sa chaleur et sa force,
Celui qui éclabousse d’un rouge givré la joue de l’Amérique.
Nous sommes un soleil que les hommes de sable ne connaissent pas,
Un soleil auquel on ne croit pas, tant qu’on n’a pas marché dans la neige qui craque.

Nous sommes à l’envers.
Nous ne sommes pas nés et pourtant nous crions;
Nous respirons dans l’eau, remontons le courant.
Dans la marée montante de l’uniformité,
Nous formons un barrage, une arche de Noé
Pour tous les naufragés d’une histoire en tempête.
Et nous cherchons bravement ce qu’il faudrait créer.

Nous sommes éternels, parce que nous y croyons.
Parce qu’une foi vibrante nous porte encore au front.
Nous sommes éternels  par ce qui fut projet et devint trajectoire,
Parce que le devoir de rêver nos contrastes,
L’emporte sur l’aisance de la fatalité
Et la facilité de se faire complaisant,
Sous l’œil malveillant des raboteurs d’espoirs et de disparités.

Nous sommes la vigueur du refleurissement,
Du petit fruit des champs au printemps qui traînasse.
Nous sommes vigoureux à force de résistance.
D’avoir battue la terre et bâti la demeure de nos convictions,
Dans les chantiers hostiles de la modernité,
Résistant à voix haute à la sourde agonie,
Nous sommes vigoureux, acharnés et ardents.

Nous sommes abondants.
Dans la constitution d’un patrimoine sauvage,
Dans la célébration des bonheurs accessibles,
Dans la paix, dans l’aplomb, dans la conjugaison de jurons convaincants,
Nous sommes abondants.
Comme la verte puissance de la terre boréale,
Nous sommes plantureux, prolifiques, fertiles.

Et quoi que l’on en pense,
Que certains aveuglés fassent toujours abstraction de la juste évidence,
Et maquillent les faits et plâtrent les remous,
Nous continuerons, nous, de savoir que nous sommes.
Nous continuerons, nous, de savoir qui nous sommes.

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