Chronique: Les «maudits médias » vous mentent

Par Karine Dufour-Cauchon 4:00 PM - 20 mai 2020
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Claude Boulet, vidéaste, lors de l’incendie du Marché René Lapointe de Clermont (automne 2019)

«Les maudits médias nous mentent. Tout le monde sait que cette mascarade de pandémie, c’est seulement afin de permettre à Bill Gates de nous implanter secrètement une micropuce et de nous contrôler. Sans compter les vipères de journalistes qui posent des questions insignifiantes à notre bon François Legault!» La COVID-19 semble faire réagir ce cher Robert, qui n’hésite pas à partager à outrance sur Internet des informations farfelues et sa haine des médias. Notez bien qu’il est dans son droit d’avoir ses propres opinions. J’irais même jusqu’à dire qu’il a raison sur un point: COVID ou pas, il est vrai que nous, «maudits médias», nous vous mentons. J’ai décidé de vous révéler «la vraie vérité». Es-tu prêt, Robert?

Oui, je peux confirmer que les médias nous mentent, mon Robert. Comme je les ai infiltrés de l’intérieur depuis déjà plus d’un an en tant que journaliste, je peux affirmer que les médias ne sont pas ce qu’ils laissent paraître. Je suis toutefois désolée de t’apprendre que la vérité est plus décevante que tes scénarios de complot mondial. Es-tu prêt? D’accord, je t’aurai averti.

T’informer, ce n’est pas gratuit. On ne travaille pas pour Bill Gates. (Je sais, qui l’aurait cru?) Je t’accorde cependant que nous travaillons effectivement pour les Facebook et Google de ce monde. Bien sûr, le journal que tu reçois chaque semaine à ta porte n’est pas la propriété de Mark Zuckerberg. Toutefois, les journalistes de ta région se doivent d’être présents là où sont leurs lecteurs. Les médias utilisent Facebook, moteur de visibilité encore important en 2020. Le réseau social utilise l’auditoire de ces pages pour vendre des placements publicitaires qui ne nous rapportent rien. Les nouvelles que nous t’écrivons à toi et à nos quelques milliers de «followers» nous donnent la mention d’employé du mois chez les géants du Web, sans nous rémunérer

On te ment, mon Robert, car on ne te dit pas que les nouvelles ont un coût. Les «maudits médias» conjuguent avec des vols de revenus, revenus qui sont encore plus maigres en temps de COVID. Voilà un premier mensonge avalé, tu t’en sors?

Même si nous sommes soumis à des fins mercantiles, cela ne veut pas dire pour autant que nous avons de sombres desseins. Je te rappelle que les médias ne sont pas là pour te dire comment penser. Nous sommes là pour te dire plutôt à quoi penser et pour t’exposer certaines facettes des débats et enjeux publics.

Deuxième mensonge: on te ment, car on ne travaille pas vraiment pour toi. Du moins, pas pour tes intérêts privés. En fait, on travaille pour tout le monde et personne à la fois. On travaille à publier des informations dont les citoyens ont besoin pour faire des choix éclairés et se forger une opinion.

Oh, tu trouves que c’est idéaliste comme réponse? Ce n’est pas faux. Comme rédacteur de nouvelles, on ne fait pas toujours des choix parfaits, tu sais. Tu trouves peut-être que les journalistes de La Tribune de La Presse à l’Assemblée nationale en font aussi, de drôles de choix de questions à poser à ton «bon PM Legault».

Je dois avouer que je ne voudrais pas travailler là-bas en ce moment. Je ne les envie pas d’être jugés par toute la population du Québec en direct. Pour avoir déjà questionné les yeux dans les yeux mon premier ministre de passage à La Malbaie, je te confie que mon cœur et ma tête roulaient au quart de tour. Et si je ne posais pas la bonne question? Et si le public se mettait à rire de moi ? (C’était à l’époque où on pouvait asseoir plus de deux personnes dans un même lieu!). On doit s’y habituer, je suppose. D’un autre côté, ils sont privilégiés, mon Robert. Ils sont aux premières loges de l’écriture d’une importante page d’histoire du Québec. Ils en sont les scribes et ont un pouvoir important sur le prochain chapitre. Tes maudits médias te mentiraient-ils sur leur importance?

C’est mon dernier aveu pour toi. On te ment lorsqu’on dit que ce que tu écris ne nous dérange pas. Rassure-toi, tu peux continuer à partager tes opinions tranchées et ta vision des choses basées sur des pseudo-documentaires qui traînent sur la toile 2.0. Mais pour chaque théorie du complot que tu propages durant cette pandémie, un journaliste verra à ce que la vérité soit rectifiée. Pour le bien du public et pour le bien de tes «maudits médias », tu peux les partager, ces vérités-là, mon Robert.

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