«Le cœur ne vieillit jamais»

Par Émélie Bernier 4:00 PM - 12 mai 2020
Temps de lecture :

Aline Boudreault retrouve la liberté et le sourire ces derniers jours.

Ces sages paroles sont celles d’Aline Boudreault. À 91 ans, la dame sort enfin de l’étouffant cocon de solitude imposé par la COVID-19 durant les deux derniers mois. Si elle se sent renaître, ses ailes ne se déploient pas complètement, car elle ne peut pas encore rendre visite à son mari…

L’amoureux de Madame Aline habite en centre d’hébergement et de soins longue durée, tandis qu’elle a un appartement à la Résidence des Bâtisseurs de La Malbaie. Leur histoire d’amour est un joli conte, même si l’histoire déraille un peu ces temps-ci.

Aline Boudreault s’est mariée à 20 ans, avec son premier amour. «Un jeune homme de Clermont, qui travaillait au moulin», précise la dame qui m’avertit que son ouïe est un tantinet défaillante avant de poursuivre.

Un jour, sans crier gare, son amour l’a quitté. «Il est mort subitement, ça faisait 47 ans qu’on était marié.» Il lui a laissé deux beaux enfants, et un grand vide.
Le deuil l’a entourée de sa chape… Madame Aline a senti le besoin de partager sa tristesse, et l’espoir aussi, dans un groupe d’endeuillés. Elle y a revu un certain Paul-Eugène Dufour. L’homme avait lui aussi le cœur à l’envers d’avoir perdu son épouse. «J’étais amie avec sa femme, on faisait du chant ensemble. Je me suis assise à côté de lui, il m’a invitée à aller voir sa maison…», se rappelle-t-elle.

Petit à petit, l’amitié a fait son nid entre les deux tourtereaux éplorés. «Un peu par hasard, je me suis retrouvée dans un souper à Saint-Aimé-des-Lacs où une amie m’avait invitée. Toute sa famille était là. Quand est venu le temps de la danse, il est venu me demander si je voulais danser avec lui. Je suis allée…» rigole-t-elle.

Ce soir-là, un photographe a croqué un portrait de la famille de M. Dufour. Par hasard, on y voit très bien Aline. «Je me suis trouvée à être dans le portrait! Tu vois comment la vie, c’est arrangé! »
En février, alors que les amoureux se fréquentaient depuis deux mois, monsieur a dû être opéré. «Il était tout seul chez lui. Son médecin ne voulait pas, alors quand il est sorti de la salle d’opération, je l’ai invité à venir faire sa convalescence chez nous», raconte la dame.

Il y a 20 ans, Aline Boudreault a uni sa destinée à Paul-Eugène Dufour, pour le meilleur et pour le pire. La COVID-19 ressemble au pire…

 

Cette proximité les a si bien rapprochés qu’à la Fête du Travail, les amis devenus amoureux convolaient en justes noces. «Je ne me suis pas domptée! Je me suis remariée à 71 ans. Il fallait que je frappe tout un numéro pour dire oui! C’est un bon gars! Il était cultivateur, il ne disait jamais non… Tu sais, quand tu es trop bon, les gens abusent», lance la dame, visiblement toujours amoureuse de son mari.

«Si tu viens pas me chercher, je vais me tuer!»

Les jours ont coulé doucement pour le couple jusqu’à ce que monsieur échappe des petits bouts de mémoire sur sa route… L’alzheimer venait de s’inviter dans le tableau. «Il est au CHSLD Bellerive. C’est sa cinquième place en trois ans et demi… Il a été quelques jours à Clermont, il n’était plus capable. Après, il a été à Baie-Saint-Paul, dans une résidence avec juste des personnes handicapées. Il était le seul qui marchait encore! J’allais le voir deux fois par mois… J’ai mes licences, mais ça me prenait un chauffeur. C’était trop loin. Il s’ennuyait. Il me disait «si tu viens pas me chercher, je vais me tuer!» Ensuite, il a été dans l’ancien presbytère à Saint-Aimé, j’y allais souvent, c’était plus proche. Ça a fermé. Il a été transféré à Baie-Saint-Paul…» On avait fait de son époux un yoyo.

«Le 11 juin, enfin, ils l’ont transféré à La Malbaie. En octobre, j’ai mis la maison en vente et je suis déménagée aux Bâtisseurs. On n’est pas ensemble, mais on est proche. J’y vais deux ou trois fois par semaine. Mais là, ça fait deux mois sans le voir. Il me dit «ça fait longtemps que je t’ai pas vue, je m’ennuie». Moi je lui dis, «tu es chanceux, tu n’es pas seul!» Moi, j’ai été deux mois toute seule dans mon logement…»

Enfin, Mme Aline Boudreault peut mettre le nez dehors, même si elle doit cacher ce nez sous un couvre-visage dès qu’elle s’approche d’un autre être humain!

Et durant ces deux mois, même pas moyen d’aller prendre l’air. «Je ne pouvais même pas aller m’asseoir dans mon char les fenêtres ouvertes! Jeudi passé, enfin, j’ai pu y aller, j’étais bien habillée. Respirer l’air de la mer comme ça, ça vaut bien des médicaments! Avec l’air pur, on est tranquille et crois-moi, j’avais faim ce midi! L’air de la mer, ça ouvre l’appétit!», lance la dame, qui s’inquiétait aussi pour ses «colocs» de la Résidence des Bâtisseurs, même si le service y est impeccable. «Une chance qu’on est ici… Les gens sont gentils, ils sont aux petits soins avec nous, mais je suis rendu à 91 ans et c’est la première fois que je suis enfermée comme ça! J’ai toute ma tête, mais j’étais en train de faire une dépression… et je ne suis pas la seule! Il y a en beaucoup ici pour qui c’est le temps qu’ils prennent le dehors. Quand ça fait deux mois que tu n’as pas vu ta famille… y’a de quoi devenir fou!»

Son mari, lui, perd doucement la tête, mais c’est l’alzheimer qui la lui vole, morceau par morceau.
«On se parle au téléphone, quand on réussit à se rejoindre. Le monde est tellement occupé, ils n’ont pas toujours le temps de nous aider. C’était difficile, les derniers temps… Dès qu’on se parlait, je me mettais à pleurer. Lui, il ne comprend pas trop ce qui se passe, il ne réalise pas. Il me demande des nouvelles de sa mère, de son père, qui sont morts il y a une trentaine d’années. Il me demande où je vis, pourquoi je ne vis pas avec lui? Mais il me reconnaît. C’est pour ça que je veux être là pour lui, avec lui!»
Depuis les annonces de la ministre Blais, elle a multiplié les appels pour savoir quand elle pourrait visiter Paul-Eugène. Dimanche, elle s’est présentée au CHSLD, déterminée, mais «tout était barré». « J’étais désappointée, je suis revenue chez nous en pleurant.»
Lundi, enfin, après des dizaines et des dizaines d’appels,  elle a pu revoir son amoureux. Même si deux mètres les séparaient, elle a pu lui dire de vive voix qu’elle est toujours là…

Certes, les derniers mois ont été pénibles, mais Aline Boudreault se sent revivre. Elle a revu son bien-aimé et elle peut enfin mettre le nez dehors. «Je comprends que les prisonniers se révoltent! D’être pris sans sortir, ce n’est pas une vie! Quand on file pas, on va prendre l’air. Et ça passe!», lance la dame pour qui une visite au quai de Pointe-au-Pic est comme un voyage! N’y manque que son Paul-Eugène…
«Y’a pas d’âge pour l’amour, le cœur ne vieillit pas! Mais la vie est arrangée! C’est pas nous autres qui mène ça, y’a un grand boss qui nous mène la vie. Il est arrivé bien des choses quand on était jeunes! Des bonnes, des mauvaises, mais toujours réparées pour le mieux. Il faut prendre ça un jour à la fois…mais là, ça fait deux mois qu’on prend notre mal en patience! C’est normal qu’on en ait moins un peu…»

Partager cet article