Pour ou contre la véganarchie?

Par Émélie Bernier 3:39 PM - 28 janvier 2020
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Tremblez, éleveurs, bouchers, restaurateurs et épiciers! Les activistes véganes vous ont à l’œil et tenez-vous le pour dit, ils vous abhorrent au moins autant qu’ils adorent veaux, vaches, cochons et poulets…

Confession : j’aime le tofu. J’adore les bines de tous acabits: fèves rouges, noires ou blanches, lentilles corail, vertes, Dupuy, gourganes, pois chiches, adzuki… J’ose le tempeh, cette substance vaguement « motonneuse » et délibérément insipide qui fait peur aux enfants (c’est du moins ce qu’on dit dans cette chanson https://www.youtube.com/watch?v=LdlOBxThrBE). J’ai un gros faible pour les légumes et les fruits, le quinoa, le chia et l’avoine nue des Belles récoltes. Si j’avais le choix et le budget, je mangerais des sushis, des pétoncles géants, du crabe frais pêché et du homard tous les jours…

Non, je ne suis ni végé ni végane. Le gigot d’agneau bardé d’ail et fleurant bon le romarin et la bavette saignante au grillé en damier parfait figurent en tête de liste de mes plats préférés.

Même si je l’achète localement à des producteurs qui sont mes amis, même si je préfère quand mon poulet et mon cochon dont je connais le petit nom ont respiré le grand air et foulé la terre avant de finir bien cuits dans mon assiette et celles de ma famille, je mange de la viande.  Et j’aime ça.

Suis-je en danger?

Les activistes véganes, que l’auteur de La ferme impossible, Dominic Lamontagne, appelle « les fanatiques de l’immaculée digestion », sont de plus en plus radicaux dans leur prise de position et d’action.

En octobre, une vingtaine de porcs ont été « libérés » d’une porcherie dans le coin de Saint-Hyacinthe.  En décembre dernier, 11 antispécistes (qui accordent une valeur morale aux animaux) ont fait intrusion dans une autre ferme porcine du secteur et ont occupé la ferme. En septembre, une trentaine d’activistes pour les droits des animaux se sont massés devant le comptoir des viandes d’un Costco de Montréal en diffusant des cris terrorisants d’animaux. En Ontario,  dans l’Ouest canadien et ailleurs dans le monde,  de tels gestes se produisent de plus en plus, créant un stress indu chez les agriculteurs.

La cyberintimidation est de plus en plus monnaie courante. Une jeune productrice laitière, qui partageait sur Instagram son quotidien, a craint pour sa vie. Ses cyber ennemis sans visage ont comparé l’insémination artificielle des vaches au viol et n’ont pas hésité à utiliser les termes «meurtre» et «kidnapping» pour décrire son travail. On l’a même traitée de psychopathe!

Parfois, ils choisissent de débouler, troupeau de yacks déchaînés, dans certains restos qui osent le foie gras au menu. Ils invectivent les clients attablés devant leur steak ou leur blanquette! Tout juste s’ils ne les traitent pas d’assassin, lorsqu’ils portent à leur bouche la meurtrière fourchette…

Ils s’en prennent à certains restaurateurs qui font la part belle aux viandes sur l’ardoise.

Récemment, le restaurant Manitoba, une chouette adresse montréalaise à l’éthique irréprochable (à 1000 lieux du McDo!), a été la cible des foudres des « véganarchistes »*.

O, pas grand’chose, presque rien.  De la colle dans la serrure.

Un petit mot anonyme menaçant en forme « d’avertissement »  dans la boîte aux lettres.

Juste assez pour créer le malaise, instiller une petite peur achalante.

« Votre chef (…)a du sang sur les mains  et vous en êtes complices. Des milliers d’oies et de canards payeront injustement de leur vie pour un simple plaisir gustatif dans ce futur projet d’abattoir.»

Pas un peu drama queen, le véganarchiste?

Tout ça parce que le Manitoba (oui, comme la province) s’associe au Petit Abattoir, un projet d’abattoir mobile et de proximité. La petite équipe du Manitoba a cru bon répondre à ses détracteurs et la réponse (que vous pouvez trouver sur la page facebook du resto) est un « vlan dans les dents » parfait.

« Notre association au Petit Abattoir est louable, dans le sens où nous essayons de donner aux petits producteurs de volaille la possibilité d’abattre leurs animaux à leur rythme et près de chez eux, évitant les heures de transport atroces et les pratiques désolantes et assassines retrouvées dans la plupart des abattoirs industriels. Nous voulons sensibiliser les gens au concept de la mort animale et végétale, à la notion de sacrifice. Les aider à se reconnecter à la nature (tout court) de leurs aliments afin qu’ils soient en mesure d’en choisir la provenance et d’en saisir la valeur sacrée. Nous souhaitons une décroissance de l’économie (telle que nous la connaissons) et une croissance des communautés (telle que nous les avons oubliées). Oui, nous avons du sang sur les mains. Celui d’animaux qui ont eu une vie heureuse, entourés de nature et d’humains fondamentalement bons. Nous réfléchirons à votre critique, nous évoluerons, mais nous aimerions voir votre énergie militante se déployer auprès des mégaproducteurs déconnectés plutôt que chez des restaurateurs somme toute, assez gentils. »

Tout est dit.

* Je croyais avoir inventé le petit mot d’esprit finfinaud pour titrer cette chronique, mais il se trouve que quelqu’un avait inventé “véganarchiste” avant moi!

 

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