Chronique de Brigitte Lavoie : Aimer Grand-Fonds

Par Brigitte Lavoie 3:57 PM - 21 janvier 2020
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Photo Francis Gagnon

Les temps sont durs pour les amoureux des stations de ski locales. Changement de direction générale, grand chantier irrévérencieux et début d’hiver merdique. Que vous soyez un fidèle du Massif ou de Grand-Fonds, l’heure est à la patience et au pardon, encore une fois, ou à l’impertinence. Mais bon, que vaut la parole d’un abonné agacé (encore) comparée à une colonne de chiffres, à la pénurie de main-d’œuvre ou à un conseil d’administration malhabile ? Rien. Absolument rien.

Aimer une montagne de ski et s’en amouracher, ça se peut. Et ce n’est pas unique aux montagnes de Charlevoix.

Le Vallinouët a sa cohorte d’habitués exigeants et sensibles au changement. Tout comme le Mont-Édouard. Ça semble l’apanage des stations de ski de village possédant une histoire forte et qui ont été tenues à bout de bras par d’infatigables croyants du milieu.

N’en déplaise aux nouveaux arrivants gestionnaires conquérants de l’avenir de nos stations, le noyau dur existe, jacasse, juge et s’indigne. Ce noyau dur, fier et résilient, aime sa station de ski. C’est un amour rare, profond, viscéral et presque inébranlable. Il est à lui seul une conscience aiguisée capable de tout remettre en doute, surtout si vous avez de gros sabots et peu d’écoute.

Toutefois, ce skieur fidèle amoureux de la montagne est toujours prêt à aimer encore plus quand ce qu’il voit et ce qu’il entend fait du sens avec ce qui a été et ce qui est.Par souci de transparence, j’annonce que je fais partie de ces électrons agaçants ayant toujours une opinion sur ce qui se passe, ou ne se passe pas dans ma station de ski préférée. J’aime profondément le Grand-Fonds.

Pourquoi? Sans doute parce que j’y respire comme nulle part ailleurs. Parce que c’est un mélange d’ambiance, de dénivelé, de surdose de bouillon de poulet dans les refuges, de montées en T-bar, de joues en feu, de poudreuse, de damé parfait, de randonnées revigorantes, d’enfants repus de grand air et fatigués, de mouches qui dégèlent au soleil dans la fenêtre du refuge chez Georges, de sorties au clair de lune mémorables et savoureuses, de préposés qui donnent les chaises en badinant, d’après-skis en village élargi, d’apprentissages réussis, de petites débarques, de patrouilleurs de bon conseil avec de la glace, de skis neufs achetés à François, de file d’attente inexistante, de sentiment de sécurité, de l’impression de rentrer à la maison.

En fait, une station de ski pour un éternel habitué, c’est une montagne de souvenirs. Et puisque le ski est un loisir et un privilège, c’est une montagne de souvenirs où le bonheur et la joie sont dans le portrait.

Même quand le quadruple tombe en panne, même quand les touristes vident le chocolat chaud au refuge chez Jules, même quand le nouveau directeur général est différent de l’ancien, même quand il n’y a pas de place pour dîner, même quand les bécosses des Lions respirent la fin du monde, même quand le prix des billets était moins cher au Club Price, même quand Gérard ne dame pas la Hardy, même quand la salle de fartage manque d’amour, même quand tout devient compliqué parce que plus personne ne connait personne, même quand l’ambiance est comme une paire de skis râpés sur une roche, même quand ça devient différent et brinquebalant, il y a toujours ce fond d’amour inconditionnel qui souffle aux skieurs du noyau dur d’être patients, d’écouter, de voir ce qu’il est encore possible de faire, de garder espoir, de chausser ses skis, coûte que coûte, parce que ça vaut la peine de prendre l’air à Grand-Fonds.

Aimer Grand-Fonds, ce n’est pas toujours facile. Surtout quand les décideurs donnent l’impression de préférer la montagne de chiffres à la montagne de sentiments qu’elle représente. Mais est-ce que les deux sont conciliables ? Je le souhaite ardemment, question de ne pas finir comme Le Massif avec une pétition d’électrons déçus à tous les coins de projets.

Pour aider, peut-être que les membres du conseil d’administration du Grand-Fonds pourraient chausser des skis et aller faire leurs réunions au chalet du Sommet, ou au refuge des Aventuriers. Mettez deux bûches dans le poêle, ouvrez un peu la clé, enlevez tuques, bottes et mitaines et mettez-vous à l’aise ! Buvez un chocolat chaud offert par la maison et essayez de comprendre ce qui se vit dans votre montagne de chiffres.

Cette petite sortie au grand air ne peut pas nuire, c’est certain. La preuve, le noyau dur et ses électrons agaçants carburent à ça et sont toujours là.

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