Chronique : Pour ne pas que le message se perde

Par Brigitte Lavoie 12:00 PM - 15 janvier 2020
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Une grande planète, de plus en plus petite. Où tout le monde finit par être touché par ce qui se passe ailleurs, et à côté. Où la bêtise, l’incompétence, l’hypocrisie, l’égoïsme, la cruauté sont sans frontière et s’inscrivent dans nos vies. Comme un récurrent rappel que l’homme a ses limites, mais que nous y pouvons quelque chose, si le cœur nous en dit.

J’ai parfois l’exaspérante impression d’être une cassette. Comme toutes les mères de la planète, j’imagine. De répéter toujours les mêmes choses à mes enfants, à quelques mots près. Mais toujours, il y a un fond qui reste.

Respect. Des autres, de toi, de l’endroit dans lequel tu vis, de la différence, de la ressemblance.

Persévérance. Dans ce que tu commences, ce que tu termines, dans ce que tu dois faire, ce que tu choisis de faire, dans ce qui t’horripile ou te passionne.

Prudence. Dans ce que tu comprends et défends, dans ce que tu ne comprends pas, dans ce que tu crois, dans ce que tu dis, dans ce que tu veux, dans ce que tu choisis de faire, dans ce qui peut arriver, dans ce qui arrive.

Et puis voir un avion rempli de civils innocents exploser en plein ciel, voir un enfant de 14 ans être abandonné sur la chaussée par l’automobiliste qui l’a frappé, voir des hommes accusés de pédophilie. Et comprendre que le message se perd. Entre la pouponnière, la famille, l’école primaire, les études avancées, la banlieue riche, le bidonville, l’aréna, la rue, les envies, les besoins, les petites besognes, les belles jobs, les petites vies pleines, les grosses vies vides. Entre l’armée, la démocratie, la dictature, la gouvernance, la diplomatie, l’économie, les croyances, le pétrole, la faim, le peuple, les dirigeants, la guerre, l’environnement. Le message se perd. Vivre et donner la vie, c’est accepter de perdre.

Levez la main les parents qui souhaitent que leur enfant mente. Triche. Sois égoïste. Incompétent. Misogyne. Raciste. Manipulateur. Froussard. Pervers. Alcoolique. Drogué. Grossier. Crédule. Irresponsable. Levez la main les parents qui souhaitent que leur enfant soit équilibré. Autonome. Responsable. Attentif. Généreux. Critique. Engagé. Allumé. Intègre. Conscient. Compétent. Fiable. Levez la main les parents qui ont fait et font leur gros possible, qui ont donné et donnent ce qu’ils ont, mais qui ne peuvent donner ce qu’ils n’ont pas, et qui savent que tout peut arriver, le bien comme le pire. Tous les parents ont une cassette, qui a ses limites. Et le monde est vaste, rempli de cassettes, et il avale qui s’y perd.

Levez la main les parents qui ont peur que leur enfant se perde en route. Qui ont peur de l’Iran, de Donald Trump, des pédophiles, des espaces aériens ouverts les nuits de bombardement, de la malchance, des
accidents, des mauvaises idées, des erreurs qui brisent des vies, des cassettes cassées, des bons messages qui se perdent.

Vivre hier, et aujourd’hui, et regarder les nouvelles, c’est comprendre que l’humanité a beaucoup de travail et que ce n’est jamais fini. C’est aussi ressentir parfois un fort sentiment d’impuissance.

C’est croire que tout est à la fois possible et faillible. C’est comprendre que les hommes sont des hommes, mais qu’il faut continuer de les élever et de cultiver les bons.

J’ai parfois l’impression d’être une cassette. Comme toutes les mères de la planète, j’imagine. Et j’espère. J’espère que la bonne cassette ne se perdra pas. Que tout un chacun, parent ou non, donne ce qu’il a de mieux et dit ce qu’il sait de mieux, et le répète sans relâche, jusqu’à en perdre la voix. Que dans l’injustice et le drame, que quelqu’un ai toujours la force de répéter la cassette, de parler, dénoncer, dire, écrire, insister, rappeler, demander, pleurer. Car s’il y a des hommes perdus qui ont des micros, des missiles ou des volants, d’autres ont un cœur et une voix. Et s’en servir, c’est rappeler que l’humanité a de l’avenir.

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