Chronique : Voici Marc-Antoine l’AsperGénie

Par Karine Dufour-Cauchon 4:01 PM - 1 janvier 2020
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Marc-Antoine, 25 ans, dans un élan de réflexion automnale.

Le journaliste se doit, en tout temps, de faire preuve d’une neutralité et d’une objectivité sans pareil. Rares sont les occasions pour moi de partager mes états d’âme, mes opinions et mes aspirations avec mes lecteurs. Je m’éloignerai de ce rôle pour vous parler de quelqu’un qui ne laisserait personne indifférent, ni même le journaliste le plus rigoureux du monde. Connaissez-vous mon «p’tit» frère, Marc-Antoine ?

Marc-Antoine Dufour-Cauchon est un «_p’tit_» gars plein d’imagination et d’énergie (du haut de ses 5 pieds 10, tout de même_!). Ceux qui l’auront rencontré au cours de leur vie auront peut-être eu la chance de constater que de la jasette, il en a à revendre. Bien qu’attacher ses chaussures soit une tâche complexe pour lui, Marc-Antoine vous récitera l’histoire de la Chine
médiévale sans hésiter.

Ou plutôt vous racontera-t-il comment l’Empereur Palpatine a réussi à prendre le contrôle d’une galaxie fort, fort lointaine ? Rassurez-vous, il peut très bien faire les deux.Ce n’est pas sans raison. Il est atteint du syndrome des passionnés, de ceux qui sont captivés par tous les sujets du monde, mais qui ne peuvent se conformer aux normes sociales régissant une conversation civilisée. Vous l’aurez deviné, Marc-Antoine fait partie de ces génies différents, ceux qui vivent avec le syndrome d’Asperger.

Ce sont de drôles d’oiseaux, ces autistes. Les multiples paradoxes du fonctionnement cérébral de mon frangin ont toujours fait partie de ce que je considère comme un des «grands
mystères de la vie». Par exemple, il arrive à développer des dizaines de concepts de jeux vidéo en une journée. Pourquoi alors est-ce si difficile pour lui de lire une horloge ? Plus encore,
se souvenir des moindres détails de l’unification allemande sous Otto Von Bismarck est un jeu d’enfant. Pourtant, un défi se pose lorsque vient le temps de se souvenir qu’il faut se brosser les dents avant d’aller au lit.

La science a plusieurs explications sur son «tri cérébral». Pour la compréhension de monsieur-madame Tout-le-Monde, disons que son cerveau est constitué de «tiroirs». Les informations y sont rangées soigneusement en ordre: les évènements, noms, odeurs, émotions, chaque donnée récoltée prend place dans son compartiment neuronal. Vous et moi, personnes «normales» (ou cognitivement standards), mélangeons tout. Notre rangement
mental est dépassé de loin par ces «super commodes d’informations».

La communauté scientifique se remet d’ailleurs en question à savoir si l’autisme constitue un handicap ou tout simplement une différence.  Pendant que la science avance, mon p’tit Marc-Antoine fait également son bout de chemin dans la vie. Maintenant âgé de 25 ans, il occupe un emploi adapté à sa condition dans une usine de Baie-Saint-Paul et demeure un être positif. Positif, oui, malgré la panoplie de préjugés qui circulent encore à l’égard de ses semblables. Je lui ai consacré ces quelques lignes en cette nouvelle année, car je constate que, malgré le temps qui passe, les termes douloureux, eux, ne
s’effritent pas. Des insultes récurrentes comme « mongole », « fardeau de l’État », «incapable», résonnent encore trop dans nos
entourages aujourd’hui. Je m’excuse Marc-Antoine, mais je ne peux malheureusement pas placer ces mots dans un petit tiroir.

C’est pourquoi j’en appelle à votre indulgence. S’il vous plaît, si vous croisez sur votre chemin des individus «bizarres», éviter les regards méchants. Éviter la pitié également. Ces familles qui élèvent des enfants différents n’ont pas besoin de pitié. Les parents d’enfants spéciaux ne les échangeraient probablement pour rien au monde. Ce dont ils ont besoin, c’est de votre respect.

Et si c’est mon frère que vous croisez, je vous prie de l’excuser s’il vous coupe la parole ou se met à sauter sur place (c’est ce qu’il fait lorsqu’il est excité). S’il parle d’une nouvelle série qu’il a récemment découverte, vous lui pardonnerez de vous en décrire les moindres détails, même si cela ne vous intéresse pas. En espérant que son optimisme contagieux et sa joie de vivre, eux, ne vous laissent pas indifférent.

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