Protection du caribou: 8800 personnes ont signé la pétition contre l’abattage des loups

Par Emelie Bernier 3:48 PM - 10 Décembre 2019
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S’il le faut, le MFFP prendra des grands moyens qui ne font pas l’unanimité pour éviter que le caribou, cette espèce réintroduite au détour des années 1970, ne soit complètement rayée de la carte de Charlevoix.

La mesure d’abattage ciblée, largement médiatisée bien qu’encore hypothétique, ne fait pas l’unanimité. Une pétition a été mise en ligne le 25 novembre. Intitulée  Contre la décision du ministère de la Faune, des Forêts et des Parcs d’abattre massivement des loups gris dans la région de Charlevoix et des Laurentides, la pétition a recueilli jusqu’ici plus de 8800 signatures.

Photo: Jean-Simon Bégin

Le texte de la pétition évoque le déclin scientifiquement prévisible des hardes de caribous et pointe du doigt le ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs qui a « failli à son mandat de protéger les forêts matures essentielles à la survie de cette petite harde, composée de descendants d’individus réintroduits dans les années 70, cinquante ans après l’extinction de la population originelle ». Les signataires s’inquiètent aussi de l’impact de l’abattage des loups sur cette population de « prédateurs déjà sous pression dans Charlevoix », estimant que celui-ci  engendrera un « déséquilibre profond dans l’écosystème de la région, notamment en ouvrant la voie aux infestations de tiques d’hiver chez l’orignal, etc., en plus de causer la mort d’animaux non visés dans les pièges (porc-épic, renard, lynx du Canada, etc.) ».

Pour sa part, le MFFP réaffirme que seuls les loups qui s’approchent trop de la harde et des femelles enceintes rendues particulièrement vulnérables par la saison hivernale, seront visés par l’abattage s’il y a lieu.

« Ce n’est pas un abattage massif, ce ne serait que les loups problématiques. Si les spécialistes reconnaissent les comportements de déplacements d’une meute en chasse à proximité de la harde, on va dépêcher un hélicoptère… mais dans le meilleur des mondes,  on n’intervient pas. Et en ce moment, ils sont loin! On suit 4 meutes et elles ne sont pas dans le même secteur que les caribous. C’est une mesure d’urgence.  Des secteurs névralgiques sont protégés, ils sont connus et l’animal y est», précise Martin Arvisais, Martin Arvisais, Directeur de la gestion de la faune de la Capitale-Nationale et Chaudière Appalaches.

Le piégeage demeure autorisé selon les mêmes modalités que par les années passées. « Il n’y a aucun changement au cadre réglementaire du piégeage ni aucune opération de piégeage systématique. Pour la Capitale-Nationale, y a 183 piégeurs sous bail et on parle d’un prélèvement annuel d’environ 90 loups. Les piégeurs contribuent à relâcher une pression de prédation », ajoute Martin Arvisais.

Les détracteurs pointent du doigt le fait que le ministère a reporté à 2023 la stratégie de redressement de l’habitat du caribou forestier et montagnard du Québec.

Le caribou fréquente un territoire dont la superficie est estimée à de plus de 6000 km carrés de part et d’autre de la route 175.

 

Loup gris en captivité

 

Ce qu’ils en disent

«Ça fait 7 ans que j’observe les caribous forestiers de Charlevoix et je n’en ai vu aucun cette année. Mais j’ai vu énormément de pistes de loups. C’est tentant d’en faire le coupable, mais il y a autre chose. (…) En analysant la situation, on réalise assez rapidement que les revenus liés à l’industrie forestière et ceux de la chasse ont toujours eu la priorité face à la protection de notre fragile biodiversité qui ne rapporte, monétairement parlant, absolument rien. Le réel problème, c’est nous et notre façon d’utiliser ce territoire. (…) Une chose est certaine, c’est que nous avons tout mis en scène pour que cette disparition ait lieu. Parfois, il vaut mieux laisser aller les choses, plutôt que de sans cesse essayer de trouver des solutions à des problèmes, qui sont devenus bien trop grands pour nos capacités de gestion. »

-Jean-Simon Bégin, photographe animalier (photos de cet article)

 

« Confier la protection du caribou au même ministère que celui responsable de promouvoir sa principale cause de déclin, soit la foresterie, est un non-sens, une pure aberration. La clientèle de ce ministère, ce sont les forestières. Et ce sont elles qui dictent les politiques du MFFP, qui n’a pas l’intention de mettre en place des mesures concrètes de protection des caribous forestiers. Ils ne font que gagner du temps. »

-Alain Branchaud, directeur de la Société pour la nature et les parcs Québec, Le Devoir, 9 décembre 2019

 

« On met la faute sur le loup pour ne pas porter atteinte à l’industrie forestière. (…) Le Ministère manipule les écosystèmes et travaille contre la nature, au lieu de travailler avec elle.»

Gisèle Benoit, naturaliste spécialisée en comportement animal et instigatrice de la pétition Contre la décision du ministère de la Faune, des Forêts et des Parcs d’abattre massivement des loups gris dans la région de Charlevoix et des Laurentides, La Presse, 6 décembre

 

«Le caribou vit dans de vieilles forêts, très denses. Quand les compagnies forestières déboisent, ça attire l’orignal, qui attire à son tour son prédateur naturel, le loup. (…) Se contenter d’abattre des loups pour sauver les caribous, c’est l’équivalent d’offrir du Tylenol à un patient pour éradiquer son cancer. »

Henri Jacob, président d’Action boréale, La Presse, 8 décembre

 

« Pourquoi on a autant de loups et autant d’ours qui sont aussi efficaces, c’est parce qu’on a un aménagement forestier qui a créé des habitats hautement favorables àa ces prédatreurs a travers les années qu’on a un réseau forestier qui augmente l’efficacité de ces prédateurs-là à chasser des caribous.»

– Martin-Hugues St-Laurent, professeur de biologie à l’Université du Québec à Rimouski, CIHO FM, 26 novembre

 

Petite histoire de la harde de Charlevoix 

Complètement rayé de la carte de la région vers les années 1920, principalement en raison d’une chasse excessive, le caribou forestier y a été réintroduit entre 1965 et 1972.  48 géniteurs provenant de la Côte-Nord ont été capturés puis maintenus en captivité. En quelques années, ils ont donné naissance à 82  faons qui ont été relâchés progressivement dans le secteur du parc des Grands-Jardins. La nouvelle harde a atteint un sommet de 126 individus en 1992, mais  décline depuis.  Au dernier inventaire effectué par le ministère de la Forêt, de la Faune et de Parcs, en 2019, 31 individus, dont 2 faons, ont été recensés.

Photo Jean-Simon Bégin

Un déclin multifactoriel

Plusieurs facteurs expliquent le déclin des populations de caribous forestiers, au Québec et dans Charlevoix. Le Plan de rétablissement du caribou forestier (Rangifer tarandus caribou) au Québec — 2013-2023 en fait état. « L’altération de son habitat, les modifications des relations prédateurs-proies qui s’ensuivent et la chasse sportive sont considérées comme les principaux facteurs expliquant le déclin historique et actuel des populations dans l’ensemble de son aire de répartition nordaméricaine (…) Le développement du réseau routier, principalement engendré par l’activité forestière, et l’augmentation de l’accessibilité aux forêts qui s’en est suivi ont perturbé la quiétude du caribou forestier ». La prédation des loups et des ours noirs met aussi à mal les populations. « Le loup gris est le principal prédateur des adultes alors que l’ours noir s’attaque principalement aux nouveau-nés, surtout au cours de leur premier mois de vie », lit-on dans le Plan.

Préoccupations, facteurs limitants et menaces

(tiré de l’État de situation et suivi des populations de caribous forestiers du Québec,  Service de la gestion des espèces et des habitats terrestres)

-Prédation (favorisée par l’altération de l’habitat)liée à la modification de l’habitat

-Dérangement anthrophique (activités industrielles est récréotouristiques)

-Perte et modification de l’habitat (aménagement forestiers, feux de forêts, épidémies d’insectes)

-Prélèvements illégaux

-Accidents routiers

-Maladie et parasites

-Prélèvement par les nations autochtones à des fins alimentaires, rituelles ou sociales

 

Effets de l’aménagement forestier sur l’habitat du caribou

(tiré de l’État de situation et suivi des populations de caribous forestiers du Québec,  Service de la gestion des espèces et des habitats terrestres)

 

-Perte d’habitat essentiel : grands massifs de conifères matures

-Perte de connectivité entre les habitats saisonniers

-Modification de la composition de la matrice forestière en faveur des essences de feuillus

-Fragmentation des habitats essentiels (ex. routes, chemins forestiers, structures linéaires)

-Modification du comportement du caribou et augmentation de sa vulnérabilité aux prédateurs

 

Historique de conservation

2001 : Fermeture de la chasse sportive (Québec)

2003 : Désignation comme espèce menacée (Canada)

2003 : Mise en place d’une équipe de rétablissement du caribou forestier (Québec)

2005 : Désignation comme espèce vulnérable (Québec)

2012 : Programme de rétablissement du caribou des bois, popluation boréale (Canada)

1er plan de rétablissement du caribou forestier 2005-2012

2e plan de rétablissement du caribou forestier 2013-2023

 

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