La fierté volée de Mariève Duchesne

Par Émélie Bernier 3:30 PM - 14 mai 2019
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Mario Simard, Mariève Duchesne et Steve Lajoie , des Amis de Claire, le chèque amputé par un cambriolage entre les mains. Photo Courtoisie Mariève Duchesne

Mariève Duchesne passe un mauvais quart d’heure. La jeune femme a choisi, il y a 10 ans, d’offrir du temps à la cause des enfants malades. Avec ses amis bénévoles, elle avait enfin atteint son objectif : remettre un beau total tout rond de 100 000$ à Opération Enfant Soleil, un organisme qui, doit-on le rappeler, « amasse des fonds pour soutenir le développement d’une pédiatrie de qualité et contribuer à la réalisation de projets pour tous les enfants du Québec ».

Bref, Opération Enfant Soleil aide les enfants malades. Il n’y a guère de plus noble cause.
Alors voilà. Il y a 10 ans, Mariève avait choisi donner du temps à Opération Enfant Soleil parce qu’une collègue avec qui elle travaillait à l’épicerie familiale vivait cette ultime épreuve : la maladie de son petit, de sa petite dans ce cas-ci. Claire. D’où le nom du comité de Saint-Urbain : Les amis de Claire.

 

Les amis de Claire avec la jeune fille qui leur a inspiré leur implication.

Heureusement, 10 ans plus tard, Claire va plutôt bien. On ne peut pas en dire autant de Mariève.
Ô, rassurez-vous, elle n’est pas malade, non. Elle souffre peut-être d’une forme rare d’écoeurantite depuis que quelqu’un est entré chez elle par effraction pour dérober les quelque 14 000$ qu’elle comptait remettre sous peu à l’organisme pour lequel elle s’implique depuis 10 ans.
Les derniers 14 000$ nécessaires pour atteindre le 100 000$ que Les amis de Claire s’était donné comme objectif il y a 10 ans.
Oui, quelqu’un a fait ça : voler les sous que les gens de Saint-Urbain ont généreusement donné pour « permettre d’offrir aux enfants des soins de grande qualité et une meilleure qualité de vie en période d’hospitalisation grâce à l’aménagement d’espaces favorables à leur guérison » (source : site web d’Opération Enfant Soleil).

« Je suis dans un mauvais rêve. C’est pas mal la dernière chose que je me serais imaginé vivre », glisse la jeune femme.
En plein après-midi, alors qu’elle était absente de chez elle, on a forcé une fenêtre de sa maison, on a fouillé dans ses affaires et on a trouvé le pot aux roses. Un gros magot. Comptant. On savait très bien ce qu’on cherchait et on n’a fait ni une ni deux avant de filer en douce avec le pactole qui devait ultimement servir à adoucir le sort de petits êtres humains aux prises avec de gros bobos. Dire que ce « on » est un être abjecte serait un euphémisme. Ce « on » est un con, n’ayons pas peur des mots.
« C’est navrant, désolant. Je ne pensais pas que l’humanité pouvait aller aussi bas. C’est pas humain de faire quelque chose comme ça », murmure Mariève.

Elle a pleuré, beaucoup. S’est sentie coupable encore plus. Ses enfants ont vécu tout ça en direct. Ils étaient avec elle quand elle est arrivée à la maison et qu’elle s’est rendu compte qu’on avait forcé une fenêtre. Ils étaient là aussi quand elle a cru défaillir en découvrant pourquoi. « Ils étaient là, dans le feu de l’action. Je pense qu’ils ont compris à ce moment-là qu’il y a des êtres humains vraiment méchants. À 7 et 10 ans, c’est tôt pour rencontrer le côté obscur de l’humanité… », dit-elle, émue.

Aujourd’hui, ce sont ses enfants qui l’obligent à redresser l’échine. À regarder devant. À dompter son sentiment de culpabilité. « Il faut que j’arrête de dire « si j’avais fait ci, si j’avais fait ça », parce qu’avec des si, on irait à Paris. C’est un gros malheur et j’en suis très très affectée, mais il faut que je me parle. Que je ne me laisse pas démolir par ce geste-là qui est celui d’une personne vraiment dégueulasse.»
Oui, la colère est là, sourde, omniprésente. Il lui vient des envies de vengeance, mais elle ne sait pas vers qui les diriger. C’est peut-être ça, le pire. Ne pas savoir, se laisser aller à spéculer, devenir suspicieux envers l’un et l’autre. Douter.
«J’ai de la misère à croire qu’il peut exister quelqu’un qui a l’esprit aussi mal tourné. Cette personne est la plus minable au monde. J’ai beaucoup de haine », confesse-t-elle. Et Mariève a surtout de la peine pour ses concitoyens de Saint-Urbain, ceux qu’elle sert tous les jours à l’épicerie de son père Yvon. «C’est dur pour nous qui avons organisé l’événement qui a permis de recueillir les fonds, mais c’est aussi tellement triste pour ceux qui sont là année après année, qui donnent généreusement, nos commanditaires qui ont offert des cadeaux, toute la communauté qui est mobilisée pour la cause et qui répond présent tous les ans à nos événements. Tout le monde était tellement fier d’atteindre le 100 000$. Et aujourd’hui, tout le monde se sent trahi », ne peut que constater Mariève, dévastée.
Heureusement, personne ne lui en tient rigueur. «Les gens sont gentils, ils me disent que ce n’est pas ma faute… Personne n’est fâché contre moi, je ressens une belle solidarité de tout bord tout coté. Ça m’aide à passer par-dessus même si tous les jours, j’en entends parler. Les gens sont fâchés, hors d’eux, attristés. Comme moi, ils aimeraient savoir c’est qui. C’est tellement bas de gamme, ça n’a pas de sens voler l’argent des enfants malades! Tout le monde ne parle que de ça!»

Les policiers mènent leur enquête. «Il y en qui continue de rêver de retrouver l’argent, mais je ne me fais pas d’accroire. Je pense que cet argent est perdu, mais je me dis qu’à un moment donné, quelqu’un va parler, va remarquer quelque chose de louche, va vendre la mèche et que la vérité va éclater. J’espère juste que cette personne abjecte va vivre les conséquences de son geste », ajoute-t-elle.
Pour sa part, Mariève prend la vie un jour à la fois. « Je te dirais que la première semaine a été terrible, ça m’a brassée vraiment beaucoup, mais il faut que je me botte les fesses, que je me dise que la vie continue et que je regarde vers l’avant… »
Et si toi, être abjecte qui a commis ce geste vil, tu es pris de remord, sache qu’il n’est pas trop tard pour te repentir et récupérer une once d’humanité en remettant les deniers à qui de droit.

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