Parce que c’est (toujours) mieux sur la photo

Par Brigitte Lavoie 3:30 PM - 30 avril 2019
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Deux grands coureurs de la région, David Savard Gagnon et Éric Leblond ont réussi le Défi des cinq sommets en 7h 48…En famille, c’est plutôt plusieurs heures pour un seul sommet.

C’est au moment de mettre la photo en ligne que survient, souvent (ou toujours), le petit malaise. Une photo, évidemment, qui suinte de sourires grandioses. Mais il y a mise en scène, habile ou non, et elle devrait susciter des remords au bouton « partagez »… parce qu’en fait, cette extraordinaire sortie « instagramée » n’était pas aussi cool que la photo le laisse croire…

J’ai bien ri cette semaine quand j’ai croisé sur la rue Facebook une personnalité connue de tous, semble-t-il, qui avouait que l’événement où elle avait si magnifiquement posée en maillot de bain (?!?!) et qui a connu une formidable récolte d’émoticônes enthousiastes, était en fait beaucoup mieux sur Instagram. Dans la vraie vie, semble-t-il, c’était plutôt morne comme beach party. Eh bien! Est-ce que finalement le plus-que-parfait du présent n’était en fait que le présent tout court, et même, l’imparfait du passé simple? Et moi qui me culpabilisais de n’avoir jamais vécu ce genre de fête!

C’est comme cette belle sortie en famille pour gravir ce mont inscrit dans l’attrayant défi des cinq sommets, qui stimule tout le monde, mais vraiment tout le monde, même ceux qui détestent les mouches, la boue et suer. La jolie photo à prendre au sommet est celle de la victoire sur les kilomètres parcourus.

Bravo la famillia! Venez ici, non là, devant la vue. Oui, c’est bon, on ne bouge plus, attention. Tout le monde sourit? Tout le monde sourit! Hey, tout le monde sourit j’ai dit! On regarde ici SVP. Let’s go. Bon, moi ça ne me dérange pas, mais pas de photo, pas de lunch… Peut-être que si vous arrêtiez de vous chamailler, ça aiderait pour le sourire. Tout le monde est prêt? Souriez. Cheese! Clic! Hourra! Attendez, je partage, faut que les amis voient ça. Ben non, c’est pas long! Ok, on mange.

Cette jolie photo prise au sommet, donc, est-elle vraiment la réalité toute crue? C’est que depuis le grand départ pour cette fabuleuse aventure, avouez qu’il y a toujours quelqu’un dans votre groupe de marcheurs qui n’est pas au diapason… Ça a commencé par cette paire d’espadrilles oubliées à l’école et qui a obligé votre enfant du milieu à se chausser d’une couleur qui n’a rien de glamour pour une sortie en forêt où les écureuils, c’est bien connu, aiment le fuchsia. Pour contribuer au désespoir de l’enfant mal habillé, votre aîné se bidonne de l’allure de la frangine qui perd ce qui lui reste de son goût de la conquête pour une envie de tuer. Ça crie, ça geint, ça se traite des noms…

Concentrons-nous sur les sandwichs pour garder ce qui nous reste de bonne humeur vacillante, voulez-vous? Des sandwichs qui feront scandale puisque cette sortie improvisée mise sur le beurre d’arachides pour assurer la survie des conquérants. Une fois au sommet, vous êtes convaincus que les ventres affamés n’y verront que du délicieux et non du pâteux. Mais c’est quand même étonnant comment des enfants biens nantis en appétits peuvent s’indigner devant un panier rempli de provisions…

Grimper vers la photo parfaite exige que chacun affronte son propre Waterloo à un moment ou à un autre de l’effort. Que ce soit parce c’est difficile physiquement, ou que vos compagnons de route, souvent les enfants, plombent l’ambiance tels des pilotes de CF-18 mitraillant des puits de pétrole du Koweït pendant la guerre du Golf. Boum! Et reboum! Peut-être avez-vous une gamine qui gambade joyeusement dans les sentiers en chantant. Chanceux! Gamine qui s’est fait ramener à l’ordre par un énergumène en manque de sensations fortes armé de brindilles et de jambettes? Mouais, ça arrive… Peut-être avez-vous fait de multiples pauses pour redonner du confort aux compagnons de route assoiffés, fatigués, tannés, agacés et agaçants pour finalement constater que les réserves d’eau baissaient plus vite que les kilomètres étaient franchis?

Au retour de la fabuleuse photo du sommet, les randonneurs récolteront une série de félicitations en ligne ou en vrai, rendant finalement l’expérience assez cool de par l’attention qu’elle suscite. Mais personnellement, j’ajouterais que la route était épique. Et que clairement, la photo du sommet ne rend pas justice à l’expérience vécue.

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