Être aimé pendant 100 ans

Par Brigitte Lavoie 12:00 PM - 10 avril 2019
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Marguerite Brassard de Clermont.

Cent ans, c’est à la fois court et long. Demandez à Mme Marguerite Brassard de Clermont. Elle vous racontera que la vie, la sienne, a été bien remplie et est passée plutôt vite, mais que l’hiver, celui qui essaie de fondre ces jours-ci, a été « long ».

Le temps est, en effet, une notion qui s’égrène à sa façon. Il se calcule en année, mais aussi en jours, en minutes et en secondes. Le temps se compte avec ce qu’on en fait, et ce qu’il nous apporte. Assise dans la cuisine de Mme Brassard, je comprends bien que les années lui ont apporté beaucoup plus que du temps et ses 100 ans.

Cette grande travaillante, mère de huit enfants, a évidemment fait le plein de souvenirs au fil des ans, mais aussi le plein d’amour. Elle en est elle-même un peu surprise. C’est que depuis le 19 mars dernier, jour de son 100e anniversaire, les visiteurs se succèdent dans la maison ancestrale de la rue des Vingt-et-Un. Un chaleureux défilé d’attention qui anime la vie tranquille de la centenaire. « Je ne pensais pas que j’étais aimée de même », a lancé Mme Brassard au moment où je remettais mes bottes après une bonne heure de jasette dans la cuisine. Évidemment, on ne se sait jamais tant aimé que lorsqu’on le reçoit.

Pour ses 100 ans, Mme Brassard a eu des fleurs et toute une bibliothèque de cartes de souhaits. Les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants sont passés, mais aussi des neveux, des nièces, des cousins et même des voisins. Pour une dame qui aime le monde, c’est le bonheur comme on dit.

« Quand tout le monde est parti, je m’ennuie. Je sais que je suis bien. J’ai mes enfants avec moi, mais je m’ennuie pareil. Et je suis peureuse », raconte-t-elle. « C’est pas encore le génie qui me manque. J’ai juste ça à faire, penser. (…) Il y a des nuits où je ne dors pas. Je pense à tout ça. Je vire Clermont de bord. Je pense à tout mon monde, je prie pour eux. »

C’est vrai que la vieillesse, quand on y pense, c’est beaucoup de temps libre pour quelqu’un qui, comme Mme Brassard, a passé des milliers de journées à orchestrer et s’occuper d’un quotidien rempli d’enfants et de tâches domestiques et agricoles à une époque où le centre-ville de Clermont était un immense champ à faucher. « On n’avait pas le temps de se regarder les côtés, crains pas! (…) Mais j’étais contente de faire ça. J’ai jamais regretté. »

À 13 ans, orpheline de mère, Mme Brassard est partie dans la parenté donner un coup de main, allant d’une maison à l’autre au rythme des naissances et des relevailles de ses tantes. Quand elle s’est mariée, elle a fait son entrée dans la famille d’agriculteur de son mari, partageant la maisonnée avec sa belle-mère pendant 20 ans et accueillant à son tour 8 enfants en plus des autres de passages. « Je trouve que j’ai fait une bonne vie. Il y a un vendeur qui venait à la maison, à l’époque, et il disait : « Cette madame-là, elle travaille. Et elle rit encore par-dessus le marché. » Aujourd’hui, je vis au jour le jour. Je peux pas demander plus que ce que j’ai là, sauf que mes enfants soient bien. »

Dans la maison de la rue des  Vingt-et-Un à Clermont, les 100 ans d’histoire de Mme Brassard côtoient le passé des deux Alexis. Dans la famille de son mari, il y a eu au tournant des années 1830 un certain Alexis Tremblay Picoté qui, avec la Société des 21, participera aux premiers développements du Saguenay. Plus tard, sera aussi de passage dans cette maison Alexis Lapointe, le maçon qui fabriquait des fours à pain et aimait bien courir, et qui fera parler de lui jusqu’à devenir la légende Alexis le Trotteur.

En date d’aujourd’hui, Mme Brassard est bien entourée et elle connait sa chance de pouvoir se bercer dans sa cuisine. Son fils Pierre et sa fille Clémence, notamment, veillent sur elle. C’est d’autant plus réconfortant qu’elle est un « paysage humain » qu’il fait bon visiter. Bon centenaire Mme Brassard!

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