Charge mentale patrimoniale

Par Brigitte Lavoie 12:21 PM - 20 mars 2019
Temps de lecture :

Les goélettes représentent une charge mentale lourde à porter.

Eh bien oui, n’en déplaise aux parents fatigués, la charge mentale peut aussi avoir un caractère patrimonial. Cet état survient quand le bien immobilier ancestral ayant survécu à l’épreuve du temps exige de redoubler d’efforts pour sa conservation, mais que les matelots prêts à faire la vaisselle, que dis-je, à sauver le navire sont de moins en moins nombreux à vouloir s’échiner sur le pont.

C’est le président du Musée maritime de Charlevoix, Claude Lafleur, qui utilise l’expression de la « charge mentale » pour expliquer la lassitude actuelle du conseil d’administration du Musée vis-à-vis la lourde responsabilité de conserver les goélettes de Saint-Joseph-de-la-Rive. « La sauvegarde des goélettes de bois est une garde partagée entre la communauté et l’État. Or, pour l’heure, les membres du conseil d’administration du Musée ont la fâcheuse impression de porter seuls la charge mentale de l’avenir des goélettes de bois », a-t-il décrit dans le bulletin d’information de l’organisme.

L’image est habile, et aussi tellement vraie. On pourrait former un club avec les organismes responsables de bâtiments et de biens patrimoniaux qui s’usent la patience à monter des projets de restauration et de conservation du patrimoine au Québec. Trop souvent encore, des biens à valeur patrimoniale qui nécessitent une veille constante finissent par dépérir ou sont rapiécés à la va-vite, faute d’une intervention dans les temps adéquats, méticuleuse et financée à la hauteur des besoins réels. Et c’est sans compter tous les défenseurs du patrimoine qui finissent par baisser les bras devant l’ampleur d’une tâche qui perd tout à prendre son temps.

Au Musée maritime de Charlevoix, la directrice générale Marie-Anne Rainville explique que ça fait des années que l’équipe du Musée tente de ficeler un projet majeur et complet de « protection pérenne des goélettes » avec le ministère de la Culture et des Communications du Québec. Un projet qui permettrait la restauration des trois bateaux de bois, mais également leur entretien et leur conservation à long terme en cale sèche. Mais voilà, ça n’en finit plus de finir de vouloir commencer, ce projet-là. C’est comme si la démarche était en voie de devenir elle-même patrimoniale alors que la peinture s’écaille et que des planches pourrissent sur les goélettes charlevoisiennes.

Faut-il rappeler que nous avons à Saint-Joseph-de-la-Rive deux des trois goélettes classées « objet patrimonial » et inscrites au Patrimoine culturel du Québec. Que la goélette Saint-André notamment est le dernier témoin d’une époque révolue de notre histoire maritime et d’un savoir-faire local et unique. On parle d’un projet de 5 millions $ pour restaurer et assurer la conservation à long terme de ces derniers bateaux de bois. Tout coûte 5 millions aujourd’hui… Le Havre, l’asphaltage de 2 km de route 138, un corridor d’hôpital, une usine à bonbons…

Je me demande pourquoi c’est si compliqué de sauver du patrimoine aujourd’hui, même pour des gens convaincus comme ceux du Musée maritime et du ministère de la Culture. Et aussi pourquoi, dans le cas présent, la démarche prend le même temps qu’élever un enfant.

Je veux dire, ce n’est pas comme si tous les villages côtiers de Charlevoix, de la Côte-Nord, du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine faisaient la file et demandaient chacun quelques millions de dollars pour sauver leur propre goélette locale. Il en reste trois des goélettes en bois au Québec. Trois! Me semble qu’il n’y a pas cohue au portillon.

Une chose est sûre, à l’heure actuelle, sauver le patrimoine, ici ou ailleurs au Québec, c’est l’art d’user son monde à la corde.

Il y aurait d’ailleurs sans doute matière à citer les démarches de projets de conservation au répertoire du Patrimoine culturel du Québec.

 

Partager cet article