Pour en finir avec le « à Charlevoix »

Par Émélie Bernier 5:05 PM - 20 février 2019
Temps de lecture :

Quelque soit le moyen de transport, on ne va pas À Charlevoix, mais bien dans Charlevoix.

Chaque fois que je lis les mots « à » et « Charlevoix » côte à côte, je tique et je toc. Cette association frauduleuse m’horripile. On va en Gaspésie, au Saguenay et DANS Charlevoix, capiche?

« Un hiver au parc à Charlevoix », ai-je lu récemment dans Le Devoir. Le Devoir, diantre! S’il est un média que je respecte et devant lequel je m’incline, même, c’est bien Le Devoir. Dans cette dictature du bref, Le Devoir fait dans la substance, les articles de fond-marathon, l’audace des 1000 lignes et plus. Ailleurs, c’est plutôt l’os sans la chair sous prétexte peut-être que dans l’os se trouve la substantifique moelle que la chair ne fait qu’alourdir…  Mais alors que dire de ces gazettes, virtuelles ou pas, mais résolument insipides qui ne proposent ni os ni chair, mais que du croquant plein de calories vides? Que voilà une offre parfaitement adaptée à notre capacité de concentration en perdition… Haro au sac de chips!

Et parlant de déficit d’attention, on dirait que je m’égare.

Revenons-en à… Charlevoix.

Charlevoix est une région. Ceux qui comme moi l’arpentent de long en large de façon régulière savent très bien qu’on ne peut pas aller À Charlevoix, mais qu’on va DANS Charlevoix. Pour en faire le tour, on n’a même pas assez d’un plein d’essence!

Une entité, un monde, une région qui, si elle n’est pas officiellement «ressource», est une région quand même au même titre étymologique que la Gaspésie, l’Abitibi, la Côte Nord. Qui va à la Gaspésie? À l’Abitibi? La question ne se pose même pas!

On peut aussi dire que nous allons EN Charlevoix, ce qui m’apparaît un brin pompeux mais 100 fois plus juste que le détestable À Charlevoix.  Disons qu’avec son très bourge EN,  le Centre d’études collégiales EN Charlevoix se donne des petits airs de collège privé…(ce qu’il est presque, au demeurant, avec ses quelque 200 étudiants! Fin de l’aparté.)

Parlant d’étudiants, je pardonne la faute aux milléniaux qui vivent le nez dans leur cellulaire et puisent leur infinie culture à la source de Snapchat et IG (Instagram, les vieux!). Le tout jeune Festi-Bière, par exemple, se tenait en toutes lettres À Charlevoix… Pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. Ils rêvent d’aller à San Francisco, à Paris ou à Ibiza comme ils rêvent d’aller à Charlevoix. « Selfie! »

Mais dans Le Devoir? À Charlevoix? Vraiment? Le réviseur dormait au gaz ce jour-là… (Grand merci, ce fut corrigé depuis!)

On va à Québec, à Montréal, à Shawinigan ou à La Malbaie. On ne va pas à la Beauce ou à Saguenay… (Hum, mauvais exemple, puisque oui, désormais, on va à Saguenay, la ville qui a fusionné contre toute attente Jonquière et Chicoutimi, les sœurs ennemies. Reste qu’on va au Saguenay, quand on parle de la région!)

C’est un détail, une micro coquille, une broutille diront certains, mais cette bricole me titille le nerf optique et m’irrite la fibre charlevoisienne.

Pour m’assurer que je ne m’emporte pas systématiquement pour rien, j’ai accosté à la bibliothèque une éminence en la matière, l’historien Serge Gauthier. Selon lui, cet écart linguistique est peut-être simplement un emprunt malhabile à la langue de Shakespeare et à ce fameux « at ». « We’re going at Charlevoix, my dear »!

Bon, encore la faute aux Anglais…

 

 

Partager cet article