Ceux qui restent

J’ai passé la fin de semaine avec mon amie. On a chanté et ri, on a mangé, pris un verre et ri encore. Oui, on a passé la fin de semaine ensemble, même si mon amie a pris la poudre d’escampette céleste il y a un an.
J’hésite. Je ne sais pas si ça lui plairait, que je parle d’elle comme ça, au passé, avec des sanglots dans les mots. Il faut célébrer la vie, sa vie, que je me dis. Parce qu’elle était (ça y est, un imparfait) la plus vivante des vivantes, la personne la plus colorée que j’ai rencontrée de toute ma vie. Mélissa Deschênes, c’était la fille de l’union improbable de Pollock et Kandinski, mais qui aurait fait absolument sien cet héritage costaud en virant tous les codes à l’envers et en les splashant de ses pigments purs bien aimés. Le tout en riant, en chantant, en vivant à fond les ballons.
On dirait que je l’entends :« parle donc de Sébastien à place, fatigante ». Oui, ok. Belle idée.
Sébastien, son cousin, son pote, décédé 4 mois avant qu’elle-même parte rejoindre la Grande Ourse grâce au petit kit « béni » de l’aide médicale à mourir. « Vive l’aide médicale à mourir », qu’elle chantait, la Méli, au bout de sa vie.
Mais revenons-en à Sébastien.
Quelques mois avant sa mort à elle, son cousin a choisi de la devancer sur cet hasardeux chemin aux inconnus multiples. Je ne connaissais pas Sébastien, mais il a laissé derrière lui un sillon que ses proches ont rempli de leurs larmes. Je l’ai compris vendredi, en jasant avec sa sœur Marie-Christine.
L’incompréhension la plus totale, le désarroi, la peine. Et la culpabilité, ce doucereux venin, qui vous empoisonne ou vous force à changer de perspective. Non, la mort de l’autre, son choix de quitter la vie n’est pas dû à ce que vous avez ou à ce que vous n’avez pas fait. Le suicide, puisqu’il faut le nommer, est la somme de 1001 malaises, de 1001 doutes, de 1001 frousses existentielles qui un jour prennent le dessus sur l’espoir. Qui assomment la résilience.
3 enfants, qu’il avait, le beau cousin de mon amie. On se dit que ce sont des arguments suffisants, mais le mal-être fait fi des calculs.
La belle rouquine Marie-Christine n’a rien vu venir. Sébastien était son seul frère. Oui, elle le trouvait un peu plus fatigué qu’à l’habitude, mais elle ne voulait pas trop le « gosser » avec ça. C’est le boulot, les gamins, la vie qui roule tambour battant laissant si peu de place au présent. « Inquiète toi pas », qu’il disait.
Puis fondu au noir. Sébastien, le bout-en-train, le blagueur, le joyeux comique qui faisait rire la compagnie s’est enlevé la vie.
Marie-Christine a encaissé le choc.
Elle a célébré la fête de sa fille et celle de sa nièce comme prévu, avant les funérailles. Parce que les fillettes avaient droit à leur ration de bonheur malgré la dévastation
« On n’a pas le choix de survivre, mais ça ébranle tous tes fondements de la vie. Je prenais mon frère pour acquis, rien ne pouvait arriver. Je n’ai pas vu la détresse, la souffrance immense. Ça me dépasse. J’aurais voulu lui dire « oui, la vie est difficile et n’est pas toujours juste, mais ça vaut la peine de la vivre! »
La mort de son frère a donné un sérieux coup de pied au c… de sa vie à elle. «Maintenant, je vis ma vie différemment. Je ne manque pas une occasion de dire aux gens que je les aime, qu’ils sont importants, uniques, même si je suis très gênée dans la vie. Quand je vois quelqu’un qui ne file pas, je vais le voir. Je suis devenue beaucoup plus sensible», glisse-t-elle…
Et elle a cessé de remettre à demain ses projets. «J’essaie de m’inspirer de mon frère», dit la jeune titulaire d’un BAC en théâtre, d’une maîtrise en orthophonie et d’une technique en éducation spécialisée, métier qu’elle pratique. «J’ai toujours voulu faire de la création théâtrale avec des clientèles particulières. Je me disais « plus tard, un jour», mais je ne veux pas attendre pour concrétiser mes rêves. Vaut mieux une petite action qu’une grande intention, dit l’adage. Alors je fonce.»
Marie-Christine est devenue orpheline de frère et la mort a donné un relief nouveau à la vie. Elle aurait tant voulu que son frère lui ouvre son cœur meurtri. Qu’il lui dise « j’ai besoin d’aide ». Qu’il craque un peu, juste assez pour laisser entrer la lumière plutôt que de craquer pour de bon et de se laisser submerger par l’obscurité…
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Ceux qui restent
Vendredi, j’ai passé un moment avec ceux qui restent. La famille de mon amie Méli, celle de son cousin Sébastien, qui sont une seule et même tribu. J’ai côtoyé leur deuil dans lequel se fondait le mien. J’ai vu que le deuil par suicide a sa propre palette, teintée de sentiments qu’il faut apprendre à dompter. La culpabilité. La honte. La colère. Les pourquoi. J’ai aussi compris que le centre de prévention du suicide de Charlevoix est là pour les endeuillés, autant que pour ceux qui ont l’élan d’abdiquer devant la vie. Dans un cas comme dans l’autre, le soutien extérieur devient parfois nécessaire. Que ce soit pour demander de l’aide et/ou être accompagné dans le processus de deuil que vous vivez, n’hésitez pas à les appeler (418 665-0096) et à laisser entrer la lumière.
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