Dossier De la Syrie à Baie-Saint-Paul: Chronique Une théorie de la relativité

Par Emelie Bernier 12:14 PM - 3 janvier 2018
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Nous sommes gâtés. Gâtés pourris. Tellement riches de toutes les bonnes choses que la vie a à offrir qu’on ne voit plus le luxe dans lequel on se repaît, qu’on ne reconnaît même pas la simplicité quasi décadente de nos vies.Quelle a été votre plus grosse décision aujourd’hui? Manches longues ou manches courtes? Pommes de terre ou riz? Série ou film?
Je ne vous juge pas, je suis des vôtres. Et je suis bien contente d’avoir la vie facile. Qui s’en plaindrait? Détrompez-vous : je sais bien que même si on se lève au chaud, qu’on vit des jours sans peur et qu’on dort dans le silence et le moelleux, il y a des jours où notre appétit pour la vie fléchit. Des jours où on la trouve lourde à porter. Des jours où on ne sait plus où donner du cœur. Le mal de vivre est une douleur lancinante qu’il faut apprendre à dompter.
Ces jours-là sont gris, mornes, interminables. L’espoir est un champ de ruines. Tchernobyl. Alep, Al Sweda ou après un bombardement. Vous me voyez venir, peut-être…
Un dîner chez les Hazzouri, décembre 2017.
La petite princesse Stéphanie fait un peu la baboune. Elle voulait de la soupe, qu’elle avale en faisant de grands et mignons slurps comme dans la chanson de Jacques Brel. Comme tous les enfants, elle adore le ketchup qu’elle lape sur ses petits doigts au lieu de manger son pilon de poulet…
La grande Suzana, elle, mange de tout avec appétit, comme Elian, qui a tout englouti discrètement, sans faire de bruit. Il ne fait pas beaucoup de bruit, Elian. Entre ses deux sœurs, il se faufile et fait sa vie.
Suzana trépigne d’impatience à la perspective d’aller jouer dehors. Elle ADORE la neige et s’habille en vitesse. Les pantalons de neige, les bottes, le bon manteau, le cache-cou, la tuque… Elle a compris que la neige, si jolie soit-elle, impose quelques exigences vestimentaires si on veut bien en profiter.
Stéphanie, comme toutes les gamines de 3 ans, a l’air d’une petite bonne femme Michelin dans son habit de neige. Mais son sourire ferait fondre un iceberg quand la claire lumière de décembre inonde son minois adorable.
Elian n’en a rien à faire que la butte de neige ne mesure qu’un mètre et demi… Il court chercher son beau traîneau dans la « shed » et se garroche en bas de sa micro-glissade comme si c’était l’Everest.
Ces enfants-là ont le bonheur facile. Ce petit banc de neige, ce soleil, ce dîner en famille avec une invitée spéciale qui pose plein de questions sont une fête. Peut-être est-ce un peu parce que leur vie jusqu’au grand dérangement qui les a menés à Baie-Saint-Paul n’a pas été de tout repos…
Stéphanie, Elian et Suzana Hazzouri et son mari Mikhaeil ont vécu la guerre en Syrie et aujourd’hui, ils vivent la paix à Baie-Saint-Paul. Et la paix leur va si bien…
À quelques pas de chez eux, une autre famille syrienne se bâtit une vie à grands renforts de courage, de patience et d’amitiés. Les Kamel ne parlaient ni un mot d’anglais, ni un mot de français quand ils sont arrivés ici, en avril. Chaque matin, comme leurs trois enfants Mishel, Lojain et Mario, Amalen et Mnsour prennent le chemin de l’école pour tenter de déchiffrer la langue mystérieuse de leur terre d’accueil.
Amalen parle souvent à sa mère. Sa fille Lojain fait glisser ses doigts sur ses joues. « Pleure », glisse-t-elle. Même s’ils ont tout laissé derrière, dans leur jadis si belle Syrie aujourd’hui éventrée, ni Zeina ni Mikhaeil, ni Amalen ni Mnsour ne regrettent quoi que ce soit. Pas de place pour le doute quand les bombes tombent et que la peur voile le regard des enfants. Ils ont quitté leurs proches, leurs amis, leurs maisons, leurs boulots et tout ce qu’ils connaissaient pour offrir une vie décente à leurs enfants. Une vie tout court.
Ils ont pris l’avion vers un pays « aux 12 mois d’hiver », selon la rumeur, mais c’est la chaleur qui les y a accueillis. La chaleur humaine. Celle qui panse les plaies de l’ennui.
Je tiens ici à les remercier. Ils m’ont ouvert leur porte et bien plus. Ils m’ont aidé à relativiser, à finir l’année avec le sourire malgré le « rush » implacable, la fatigue, l’hystérie collective et harassante des Fêtes… Les Kamel et les Hazzouri m’ont donné le goût de chérir ma vie, cette neige, ce soleil. Je vous souhaite à tous des rencontres comme celles-là. Et je vous souhaite aussi de chérir votre vie, cette neige, ce soleil.

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