L'étalon-injustice

Par Emelie Bernier 2:04 PM - 8 Décembre 2017
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Elles sont partout, nous encerclent, nous confrontent. On les élude, elles nous rattrapent. Qu’on soit du bon ou du mauvais côté, il est difficile de s’en soustraire, à moins d’avoir l’empathie d’un Trump ou le cœur d’une pierre. Les injustices.
Il existe au Canada une injustice première, un étalon-injustice : celle dont ont été et sont encore victimes les Autochtones. Au gros bout du bâton, les colons, qui leur ont transmis 1001 maladies et les ont soulé pour mieux les dominer, qui les ont leurrés, trompés, déracinés, transplantés, asservis.
Ils sont nés ici, bien avant nous. Ils ont arpenté le Nitassinan, se sont vêtus des peaux tannées de ses bêtes qu’ils ont traquées, tuées, mangées dans le respect des âmes et de la terre nourricière, transmettant leur savoir à leurs enfants, cultivant la liberté, nomades sur une terre sans frontière. C’était avant.
L’homme blanc est venu avec ses miroirs aux alouettes, tout près de nous, à la pointe qui porte ce nom d’oiseau vulnérable aux mirages.
Et plus rien n’a été pareil pour ces hommes et ces femmes jadis libres. On les a parqués dans des réserves, on les a privés de leur mode de vie nomade. Certains ont été déracinés à des milliers de kilomètres de chez eux, comme la petite fille du cinéaste Robert Flaherty le raconte dans le récent projet web de Marquise Lepage, Iqqaumavara (www.iqqaumavara.com) On y découvre comment en 1953 et en 1955, 19 familles inuites ont été transplantées par le gouvernement fédéral dans le Haut-Arctique, à plus de 2 000 kilomètres au nord de la côte de la Baie d’Hudson, où ils habitaient, dans le seul but d’assurer une présence permanente dans cette portion de territoire convoitée et d’ainsi y affirmer la souveraineté canadienne. On leur avait dit qu’ils y resteraient 2 ans. On les a « oubliés » là-bas.
Ce énième récit épouvantable ne fait que confirmer, si on en avait vraiment besoin, qu’on a dépouillé les premières nations de leur terre, de leurs enfants, de leur culture, leur dignité de toutes les manières possibles et imaginables.
La semaine dernière, j’ai lu avec désolation les comptes-rendus des audiences publiques de l’enquête nationale sur les femmes autochtones assassinées et disparues au pays (ENFFADA) de passage à Mani-utenam. Accablants. Des récits de viols, de disparitions, de suicides. Des enfants devenus adultes aux vies déflaboxées par un «pape de la Côte-Nord » aux mains longues et à la morale tordue.
Après ça, on se permet de juger la détresse qui appauvrit, qui appelle les dépendances… Le racisme à l’égard des Premières nations est systémique et c’est d’une tristesse absolue.
Où sont les femmes?
Les statistiques le disent : les femmes autochtones sont trois fois plus à risque de violence que les autres Canadiennes. Elles sont largement surreprésentées dans les tristes annales des femmes disparues et assassinées au pays. La GRC estime que près de 1 200 filles femmes autochtones ont été rayées de la carte du « plusse beau pays du monde » dans les 30 dernières années. C’est sans parler des abus des policiers, de la prostitution comme moyen de survie… Avez-vous écouté les témoignages de Val d’Or? Sortez vos mouchoirs. (http://ici.radio-canada.ca/tele/enquete/2015-2016/episodes/360817/femmes-autochtones-surete-du-quebec-sq ou bit.ly/1OWb0Iy).
Et les enfants?
Récemment, des journalistes du Soleil ont mis en lumière l’histoire des enfants Ruperthouse. Des enfants, un frère et une sœur, arrachés à leur famille à qui on a fait croire qu’ils étaient décédés et qui se sont ramassés ici, dans notre cour, à l’hôpital Sainte-Anne, avec l’étiquette de sans famille et sans avoir le loisir de se reconnaître l’un l’autre. Et ce n’est qu’une histoire parmi des milliers d’autres. Des petits arrachés à leur mère et envoyés dans des pensionnats gérés par des Blancs qui les méprisaient et s’appliquaient à « tuer l’Indien dans l’enfant », « scrapant » bien souvent l’enfant au passage… La Commission de vérité et réconciliation du Canada a mis au jour ces histoires terribles qu’on avait bien sûr omis d’écrire dans les livres d’histoire…
Il faudra plus que des commissions et des enquêtes pour rattraper le passé et en panser les plaies. Si on commençait par « rallumer la flamme de l’Indien dans l’enfant », ce serait déjà un bon début.

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