La Ferme Éboulmontaise au pied du mur

Par Emelie Bernier 11:16 AM - 15 novembre 2017
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Au Québec, la durée de vie moyenne d’une entreprise agricole est de 25 ans. Lucie Cadieux et Vital Gagnon auront franchi le cap des 27 ans avec leur Ferme Éboulmontaise, spécialisée dans la production ovine de niche. C’est avec un pincement au cœur qu’ils voient cette page se tourner, acculés au pied du mur par une série de revers et par les créanciers.
Depuis 2010, La Ferme Éboulmontaise a connu plus que son lot d’aléas. Des ennuis de santé pour M. Gagnon, de la maladie dans le troupeau, des bris aux bâtiments causés par des intempéries jamais vues… «À un moment donné, ça s’accumule et tu ne peux plus en prendre », résume Lucie Cadieux, sereine devant la situation. « Au chapitre des procédures, on est à l’étape de la vente sous contrôle de justice. Pour l’instant, ça ne bouge pas vraiment, on est dans l’attente. Le plan A, qui serait notre premier choix, ce serait un rachat par un groupe de trois jeunes investisseurs, dont notre fille Gabrielle et un ami berger qui serait intéressé à poursuivre dans l’Agneau de Charlevoix. Le plan B, c’est… le plan B, c’est-à-dire qu’il faut savoir lâcher prise… », poursuit Mme Cadieux qui souhaiterait bien sûr que l’entreprise continue de fleurir (voir autre texte). Mais les conditions gagnantes devront être réunies, dont la santé du troupeau.

Pionnière dans le dossier des appellations contrôlées au Québec, Lucie Cadieux considère qu’une entreprise dont le fer de lance serait l’Agneau de Charlevoix pourrait très bien tirer son épingle du jeu. « On ne fournit pas le marché! Avec le problème de pneumonie atypique qui sévit dans le troupeau depuis quelques années, plusieurs de nos agneaux ne se rendent même pas à l’âge de l’abattage. La maladie, c’est le pire! Tu as des moments de découragement importants… Mais on sait que la demande est là. En renouvelant le troupeau, en l’augmentant, le succès est possible », lance celle qui ne souhaiterait pas que sa fille envisage de prendre le relais dans le cas contraire.

Lucie Cadieux et sa fille Gabrielle en des temps moins houleux pour l’entreprise.
Lucie Cadieux, elle, se dit rendue ailleurs dans sa vie professionnelle.
Consultante en gestion agricole depuis plusieurs années, elle se décrit en riant comme «multifonctionnelle». Elle s’implique de plus en plus en développement international et s’envolera vers Haïti ces jours-ci. Au printemps, c’est au Bénin qu’elle est allée transmettre son savoir. L’enseignement est une passion grandissante qui lui permet de se réaliser.
La fin de la Ferme Éboulmontaise n’est qu’une étape, parmi d’autres. «Je ne le vois pas comme un échec! On a accompli beaucoup, des choses qui ont fait bouger l’agriculture au Québec! On n’a pas à regretter notre cheminement. Vital et moi ne sommes pas les premiers à « tirer la plogue » ni les derniers : la situation agricole est difficile. Personne n’est blessé, personne n’est mort» dit-elle, avec une pensée pour ses collègues agriculteurs Damien Girard, Nicol Simard et Lucie Tremblay, récemment éprouvés par le feu. « Les gens nous disent « c’est terrible, vous n’avez plus rien, mais ce n’est pas vrai! » On a toute la vie qu’on s’est faite ici et on a vécu une très belle période sur la ferme. On regarde en avant et on est fier de ce qu’on a accompli. Personne ne peut nous l’enlever. Ce sont des moments difficiles, mais on a encore des beaux moments devant nous et je lève mon chapeau à tous les agriculteurs qui travaillent comme des forçats et qui s’accrochent. Il ne faut pas lâcher, mais des fois il faut lâcher prise. Voilà comment je me sens », conclut-elle.
Les faits
Par Jean-Sébastien Tremblay
Le Ferme Éboulmontaise est reprise par son créancier hypothécaire Financement Agricole Canada (FAC). Ce dernier a obtenu un jugement de la Cour supérieure contre l’entreprise et ses deux propriétaires, Lucie Cadieux et Vital Gagnon, au début d’octobre. Celui-ci n’a pas encore été exécuté, mais devrait l’être sous peu.
Selon les procédures judicaires, la Ferme Éboulmontaise et ses propriétaires avaient contracté auprès de l’institution financière une série de prêts garantis par ses immeubles ainsi que par son troupeau d’animaux.
À la fin de l’été 2017, l’entreprise agricole a cessé de rembourser ses mensualités. Le montant de la dette s’élève à 560 000 $. Devant ces défauts de paiement, FAC a rappelé ses prêts et a obtenu le droit de prendre possession des immeubles et des animaux mis en garantie. L’institution a obtenu un jugement par défaut, la Ferme Éboulmontaise et ses propriétaires n’ayant pas répondu à la demande introductive d’instance.
Au moment de mettre sous presse, Financement agricole Canada n’avait pas encore exécuté son jugement puisque le délai légal dont dispose les parties pour porter la cause en appel n’est pas encore expiré. Néanmoins, suivant l’expiration de ce dernier, le jugement deviendra final. À ce stade, à moins d’autres développements dans le dossier, l’institution financière prendra possession des animaux et des immeubles afin de les vendre au plus offrant, selon les conditions légales imposées par le tribunal.
Lire notre dossier complet dans votre édition papier du Charlevoisien du 15 novembre.

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