Irma-la-féroce ou Prière de ne pas s’y faire

Par Emelie Bernier 11:38 AM - 14 septembre 2017
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Sint-Maarten, 6 september 2017. Vlucht boven Sint-Maarten tbv het vaststellen van de schade van orkaan Irma. Tevens wordt een inschatting gemaakt van de gebieden waar de meeste hulp benodigd is, en waar schepen evt kunnen aanleggen. Foto: Verwoesting.

Je m’attable pour écrire la première chronique de l’année et je ne sais par où commencer. Les idées se bousculent, elles ont envie de prendre l’air, mais une domine et elle n’est pas légère.
Le monde s’écroule par pans entiers et mes mains, mes mots, ne seront jamais assez rapides ni puissants pour rattraper les enfants noyés, les îles englouties, les maisons réduites à des amas de bois et de ferraille enchevêtrés.
Mes mots ne pourront jamais convaincre ceux qui n’y croient pas des corrélations pourtant scientifiquement prouvées entre l’activité humaine et la puissance des phénomènes naturels comme Irma-la-féroce et ses congénères terrifiants.
J’aurais beau les crier sur les toits, ça n’y changerait que dalle. J’aurais beau jouer les Femen écolos sur le beau gazon vert électrique de la Maison-Blanche, ça serait peine, et pudeur, perdues.
Là, devant mon ordinateur, dans le sous-sol gris qui nous sert de bureau, j’ai peur d’être vaine.
Je ne suis pas en train d’empiler des sacs de sable sur une digue, ni en train de fouiller des décombres pour en extirper des miraculés ou des corps meurtris. Je ne suis pas bénévole dans une banque alimentaire débordée par la demande. Je ne fais pas le bien, je ne fais rien. Non, pas rien. J’essaie juste d’écrire quelque chose de sensé sur l’insensé. Ce n’est pas simple.
Les catastrophes ne sont pas jolies, elles ravagent le décor. Elles saignent, elles puent, elles corrompent. Elles poussent l’humain jusqu’au tréfonds de ses instincts et ce n’est pas toujours beau, ce qui se cache là-dessous. La faim, la peur, le malheur engendrent le meilleur comme le pire.
Certains disent qu’il faudra s’y faire, à ces grands coups de gueule de Mère Nature, car ils se multiplieront et seront de plus en plus destructeurs. Je refuse de m’y faire. Parce que s’y faire, c’est un peu s’en foutre, se déresponsabiliser, s’isoler dans sa tour d’ivoire ou son bunker gris et attendre que ça passe, que ça passe et que ça repasse. Se tourner les pouces en soupirant des « ah, c’est donc ben plate », mais sans jamais se demander pourquoi on en est rendu là et surtout, comment faire pour renverser la tendance de la Terre à s’emporter avec fracas.
Le plus triste dans le tsunami de nouvelles venues des contrées qu’Irma n’a pas épargnées, outre bien sûr les morts, les blessés, la désolation, c’est de voir le touriste lambda brailler sur ses vacances tombées à l’eau en chignant pour se faire rapatrier dans le confort de son foyer. Il ne se retrousse pas les manches pour aller prêter main forte à Maria, à Rosario ou à Magdalena qui ont perdu leur maison, leurs animaux, leurs potagers et peut-être même leurs proches dans l’ouragan… Non, ils jouent du coude pour embarquer sur les bateaux, les avions, les autobus de secours… Le meilleur comme le pire, disions-nous.
Ils chignent, nos petits touristes, mais ils auront tôt fait de se pousser. Et dans quelques jours, pour eux, ce sera du passé, des vacances gâchées, le cafouillage de leur voyagiste ou de la compagnie d’aviation qu’ils vilipenderont avec ferveur. Pour Maria, Rosario et Magdalena, ce sera encore le présent. Un lancinant présent et pour longtemps. Avec sa bouette infiltrée partout, ses champignons galopants, sa faim perpétuelle et ses deuils éternels.
Deux poids, deux mesures
« Sur la petite planète du tourisme mondialisé, les limites du drame d’Irma se sont vite réduites aux seules dimensions de la nationalité des voyageurs », écrit Jean-François Nadeau, dans une encore excellente chronique du Devoir (ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/507686/ouragan).
Charité bien ordonnée commence, et finit, par soi-même. Triste constat.
***
Voilà, une autre saison de chroniques qui débute. J’essaierai de ne pas toujours être grave. Mais force est de constater que l’humain déraille plus souvent qu’à son tour… S’y faire, c’est un peu s’en foutre, comme on disait. Et ça, pas question.

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