Dépenser, une drogue?

Par Emelie Bernier 7 janvier 2010
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Fabien Tremblay est syndic de faillite depuis 1983. Chaque année, depuis qu’il a délaissé sa carrière d’avocat pour joindre le bureau de son père, il accompagne des centaines de personnes aux prises avec l’endettement. Et la situation ne s’améliore pas, loin de là.

 

« Le rôle du syndic a deux pôles: le premier, c’est d’aider les gens endettés à s’en sortir et le deuxième, de permettre aux créanciers de récupérer les montants qu’ils peuvent espérer. Nous sommes des médiateurs », explique M. Tremblay dont l’agenda est bien chargé. Chaque année, depuis qu’il exerce ce métier, le nombre de faillites augmente (voir encadré).  « Plus le crédit est facile, plus les gens sont endettés et plus ils ont recours à la faillite ou aux propositions aux créanciers, soutient-il. «Un achat, c’est un « high », comme une injection de drogue! Ça dure 24 ou 48 heures. Les gens vont de « high » en « high » jusqu’au « down » », résume Fabien Tremblay.

Il est inquiet car il ne peut que constater que les jeunes tombent à leur tour dans le panneau.

 

« Ça commence par un petit 500 $ sur une carte de crédit, puis on passe à 1000 $. S’ajoute l’endettement pour l’école et l’auto qui arrive souvent dès le cégep. Quand j’avais 20 ans, ceux qui avaient des autos, c’étaient les fils de médecins, mais maintenant tout le monde a un char! » Puis, la spirale s’accélère et devient souvent incontrôlable. « Ce qu’on voit, partout, c’est un endettement graduel. Il manque 4000 $ ou 5000 $ de revenus chaque année.  Après 10 ans, c’est 50 000 $ avec 25 % d’intérêt. 12 000 $ d’intérêt plus le capital, ça devient étouffant! » La faillite devient imminente et c’est alors que Fabien Tremblay et ses confrères entrent en scène. «Ce que la loi prévoit, c’est qu’une faillite dure entre 9 et 21 mois au cours desquels le syndic accompagne la personne. Avec elle, on propose un arrangement avec les créanciers, on essaie de dresser un portrait de la situation, mais surtout, on budgette, à tous les mois. En général, les gens ressortent de ça avec une meilleure formation, mais il y a un haut taux de récidive. De 20 % à 25 % des faillites sont des récidives. » Constat d’échec pour les syndics? « L’information dans les banques de crédit reste sept ans après une faillite, mais parfois, après un an ou deux, l’accès au crédit est de nouveau possible, si vous avez un emploi stable. Après trois ou quatre ans, vous serez capable de vous endetter très sérieusement de nouveau », explique Fabien Tremblay, conscient que certaines personnes n’arriveront jamais à se sortir du vortex crédit-endettement.

 

Fabien Tremblay

 

La faute aux banques?

« Les dettes sont accumulées surtout sur les cartes et les marges de crédit. L’accès au crédit est tellement facile, avec les « achetez maintenant, payez dans un an », les 36 mois pour payer la télé, les hypothèques gonflées. Mais attention, la masse paye! C’est une minorité qui ne paye pas à la fin du mois. On est 7 millions et on a presque tous une carte. Les banques, les compagnies de crédit, elles ont beau jeu parce que 40 000 faillites par année pour 7 millions de Québécois, c’est facile à absorber. Ils n’ont qu’à augmenter les taux d’intérêt », constate avec un brin d’amertume le syndic. «La première cause de divorce, ce n’est pas le sexe! C’est l’argent. Ajoutez à cela le stress, l’anxiété, la pression mise par les huissiers qui vous harcèlent au téléphone, vous menacent. Ce n’est pas légal, mais c’est une pratique courante», s’indigne-t-il.

 

B-A-BA d’une saine gestion des finances

« La première chose à faire pour éviter de tomber dans le panneau du surendettement? Vivre selon ses moyens! Il faut budgéter, s’asseoir autour d’une table, regarder ce qui entre et ce qui sort, faire des choix qui sont souvent difficiles», prétend sans l’ombre d’un doute le syndic. Selon lui, si le consommateur est très endetté, c’ est  parce qu’il est une des roues qui font tourner l’économie. « On vous presse le citron, sans se soucier de votre capacité de payer.  C’est un système qui abuse, qui se sert des gens. Qu’ils prennent collectivement la décision de revenir à un niveau de vie plus acceptable et il y aura une contraction de l’économie, une crise.  Il va falloir désintoxiquer le système qui est bâti sur le crédit. Enlevez les cartes de crédit et on tombe dans une récession profonde. Si on se mettait tous à payer avec de l’argent sonnant, à court terme ce serait un désastre, mais à moyen terme ce serait merveilleux », de conclure M. Tremblay.

Statistiques

ANNÉE/ Nombre total de dossiers d’insolvabilité au Québec/ FAILLITES/ PROPOSITIONS

2007: 32 457  / 27 107/ 5 350

2008: 36 987/ 30 474/ 6 513

2009: 43 635/ 36 269/ 7 366

Le nombre de dossiers d’insolvabilité a augmenté de 33,6 % durant les 12 mois se terminant en septembre dernier par rapport à la même période l’année précédente.

(Source: Bureau du surintendant des faillites)

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