Toute la vérité sur la tique d'hiver de l'orignal

Par Emelie Bernier 8:06 AM - 2 juin 2017
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Chaque printemps, des amateurs de plein air et de chasse sont catastrophés de voir des orignaux émaciés à la fourrure clairsemée. Les photos affligeantes apparaissent alors sur les forums de chasse et autres pages Facebook. D’emblée, on pointe du doigt la tique et ce petit acarien devient l’ennemi à abattre. Pourtant, les chercheurs sont formels : la tique d’hiver de l’orignal n’est pas aussi mortelle qu’on le prétend pour les grands cervidés.
Par Émélie Bernier
Jean-François Dumont, biologiste responsable de la gestion de la grande faune et des animaux à fourrure au ministère des Forêt, de la Faune et des Parcs, est catégorique. Bien qu’elle donne piètre allure aux animaux qu’elle parasite, la tique n’est pas, en soi, fatale. « Elle peut tuer un animal qui est déjà hypothéqué par une maladie, un traumatisme, une blessure ou un autre parasite comme le ver des méninges ou un ver pulmonaire. Elle n’est pas nécessairement mortelle lorsqu’elle s’attaque à un animal en santé », indique-t-il.
Pour bien comprendre les impacts sur la grande faune, il faut examiner son cycle de vie. « La tique va se retrouver dans la fourrure des animaux à l’automne. En fait, les larves se retrouvent sur le bout des branches après avoir grimpé le long des troncs. C’est là qu’elles attendent que l’orignal passe. Elles ne sautent pas, elles marchent, mais s’agrippent au pelage. L’hiver, la tique vit deux métamorphoses, ce qui implique deux “repas de sang”, soit deux ponctions de sang de trois millilitres chacune qui vont lui permettre de passer du stade larvaire à celui de nymphe puis de nymphe à adulte. Les larves femelles vont ensuite se jeter au sol en avril et mai. Par la suite, elles vont pondre leurs œufs dans la litière, œufs qui vont éclore, et les larves qui en émergent vont recoloniser la végétation, et ainsi de suite », explique M. Dumont.
Le parasite bénéficie évidemment de la densité des orignaux. « La population d’orignaux dans Charlevoix a connu un accroissement important. Lors d’un inventaire en 2013, la densité dépassait 10 orignaux au 10 km carrés dans certains secteurs. C’est un sommet. Sans le vouloir, on a créé un terreau fertile pour la tique d’hiver! », poursuit-il.
La tique, bien qu’elle fasse de plus en plus la manchette, n’est pas une nouvelle venue dans les forêts québécoises. « C’est un parasite du Nouveau Monde, une bestiole qui occupa le continent bien avant l’arrivée des premiers colons. Au fil des ans, avec l’occupation humaine et les migrations, l’acarien a migré vers le nord et le développement de nos populations d’orignaux a favorisé sa prolifération », explique M. Dumont. Au tournant des années 2000, elle était déjà commune au Bas-St-Laurent. Au cours des années suivantes, le parasite a sauté la barrière du Saint-Laurent, vraisemblablement transporté avec les dépouilles d’animaux chassés au sud du Saint-Laurent et par les quelques orignaux qui traversent le fleuve à la nage. Elle a fait son chemin puis, dans la Capitale-Nationale, on a découvert les premiers cas dans le secteur de Valcartier en 2010. Depuis, on observe que sa distribution est quasi généralisée dans la région.
Beaucoup de chasseurs ne voient les impacts des infestations de tiques qu’au printemps, alors qu’ils visitent leurs caches et leurs salines. « À cette période-là, les orignaux que la tique a parasités et qui se sont toilettés durant l’hiver présentent de larges sections de leur corps dénudés et plusieurs peuvent avoir l’air malades. S’ils sont encore debout, c’est qu’ils ont survécu à l’hiver. Et comme chaque printemps, les tiques sont en train d’abandonner leurs hôtes. L’été, nos orignaux ont la paix et ont toute la saison pour récupérer », explique M. Dumont.
Et les chasseurs n’ont pas à s’inquiéter. La tique d’hiver de l’orignal n’affecte en rien la comestibilité de la viande de l’animal qu’elle a parasité durant l’hiver. « C’est la beauté de la chose. Elle n’est pas réputée transmettre de maladies à l’humain, comme le fait la tique à patte noire, une autre espèce d’acarien responsable de la propagation de la maladie de Lyme ». Dans la région, quelques personnes se sont cependant présentées à l’hôpital avec des tiques de l’orignal fixées à leur peau. « Ce sont des cas très rares. Chez l’humain, pour l’instant, on ne mesure pas d’impact. Mais c’est clair que des collèges de la santé publique s’y intéressent », poursuit-il. Jean-François Dumont rappelle la procédure à suivre si vous découvrez une tique sur votre peau. « Vous devez soit la laisser là et vous présenter à l’hôpital ou au CLSC. Vous pouvez aussi l’enlever vous-même en suivant les précautions d’usage, mais il faudra garder la tique dans un petit contenant, à des fins d’identification, et aller quand même consulter à l’hôpital. »
Lors de randonnées en forêt, il est recommandé de porter des vêtements longs afin d’exposer le moins possible la peau.
Quoi qu’il en soit, Jean-François Dumont se faire rassurant. « La tique d’hiver a le dos large parce qu’elle donne mauvaise mine aux animaux, mais il faut savoir que c’est un ensemble de paramètres qui peuvent mener à la mort d’un orignal. Si l’effet de la tique d’hiver était si dévastateur, il n’y en aurait déjà plus, d’orignaux! »

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