Noëlla Dufour et Pierre Émond, l'amour existe encore…

Par Emelie Bernier 7 mars 2009
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« Je suis la mère de mon mari. » La phrase résonne comme une sentence, mais le visage de Noëlla Dufour n’est pas celui d’une condamnée. Elle venait à peine de prendre sa retraite à titre d’infirmière quand le couperet est tombé. Les difficultés d’élocution de son mari, ses phrases qui se scindaient en plein milieu, n’étaient pas le fruit d’une tumeur au cerveau, comme elle le craignait, mais bien des symptômes d’une forme atypique de la maladie d’Alzheimer. « C’est une maladie que je ne comprends pas, que je n’accepte pas. Une maladie qui frappe sans discrimination. »

«À l’annonce de la nouvelle, c’est surtout la réaction de Pierre qui m’a bouleversée. Nous étions en voiture et en voulant « sortir » sur la 138, il m’a proposé de foncer dans une van. Il voulait partir, mais avec moi. C’est à ce moment-là qu’on a pris la décision de vivre. Je lui ai dit: « Je vais prendre soin de toi. » Il s’est ressaisi et il n’a plus jamais été question de ça. Je lui ai dit que je serais toujours là. » Une promesse qu’elle tient à bout de bras. 

« Je suis un peu tout pour lui. Pierre est aphasique. Je lui prodigue tous les soins personnels: aide à l’alimentation, à l’habillement, à l’hygiène personnelle. Ça fait seulement deux semaines que j’ai demandé un bain hebdomadaire. C’est difficile de demander de l’aide, de faire entrer des étrangers dans ma maison, mais je suis contente de l’avoir fait. Ça me soulage un peu. Je ne projette pas le placement, tant que la maladie ne m’atteindra pas. Je suis capable, c’est mon métier. Je connais mes ressources, je sais à quelle porte frapper. »

Pierre et Noëlla caressaient des projets de voyage. Aujourd’hui, Pierre ne sort que très peu et presque toujours avec elle. « Il est frileux! Et il ne voulait pas aller au centre de jour. J’ai compris qu’il avait peur que je ne sois plus là quand il en reviendrait. Maintenant, ça va. Mais pas plus d’une journée par semaine. »

Noëlla, qui est conseillère municipale à Clermont, peut compter sur l’aide de son fils qui habite à la maison. » Quand Jean-Michel est là, je pars en toute quiétude. Pour mes trois enfants, ça a été un choc, mais ça les a rapprochés, ça les a soudés et ils sont solidaires. » Elle ne confie Pierre qu’à son fils, lorsqu’elle doit s’absenter. « C’est comme un enfant! Je ne veux pas le laisser à n’importe qui! »

Elle prend la vie « à la petite cuiller », un jour à la fois. « Je panique si je regarde trop loin. Mon plan B n’est pas tracé, je ne suis pas invincible. Je suis en forme, mais je dois le rester. Il y a de petites et de grosses déprimes, c’est moralement que c’est le plus souffrant.»

Les yeux de Pierre pétillent quand il la regarde, mais est-ce suffisant? «Le plus difficile, c’est la communication. Il faut toujours deviner ce qu’il veut dire! Des fois je tombe pile, mais d’autres fois, je tâtonne. Des fois, je perds patience. Je suis humaine! C’est normal. J’oublie parfois qu’il est malade et que des gestes anodins sont pour lui impossibles. De semaine en semaine, il perd des capacités. Et ça ne reviendra pas. »

Noëlla n’a qu’un conseil à donner aux aidants qui, comme elle, se retrouvent dans un étau. « Il faut oser et cogner aux portes, demander de l’aide. Assistez à une réunion du Trait d’union (voir autre texte), ne restez pas enfermés. »

Pierre serre la main de sa femme. Acquiesce à ses moindres mots. L’amour existe encore. Même si aujourd’hui, après 38 ans de mariage, il ressemble plus à celui d’un enfant pour sa mère.

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