Conte: Les traces du père Noël

Par Emelie Bernier 12:32 PM - 31 Décembre 2017
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Le groupe des participants de Charlevoix. Photo gracieuseté

Les illustrations du conte Les traces du père Noël d’Isabelle Anne Messier ont été réalisées par sept enfants dans le cadre d’un atelier tenu à la bibliothèque Laure-Conan de La Malbaie en collaboration avec l’artiste Carol-Anne Pedneault et la Société littéraire de Charlevoix. Ces œuvres sont exposées pendant la période des Fêtes à l’Espace culturel, dans le cadre de l’exposition sur la revue littéraire L’Embarcadère no.19 Spécial littérature jeunesse. Une collaboration de L’Embarcadère
Par Isabelle Anne Messier

Un dessin de Rosemarie Méthot


C’est la veille de Noël. Le soleil vient à peine de pointer son nez gelé à l’horizon. Je suis dans l’auto avec mon père. Il est assis derrière le volant et… il chante. Moi, Méline Tremblay, je suis assise en arrière, les deux bras croisés et… je fais la baboune. Je fais la baboune parce qu’il n’y a pas de neige. C’est laid, c’est gris, c’est brun, c’est mouillé. Moi, un hiver sans neige, ça me déprime. Mais j’ai aussi une autre raison de bouder…
Hier, quand mon père est venu me chercher à l’école, tout le monde était dehors, parce qu’on avait fait une grande fête. Papa est arrivé juste après la cloche. Il s’est stationné, a ouvert la fenêtre et il a dit, super fort : « Vite, Méline ! On n’a pas fini nos bagages pour aller au chalet. Dépêche-toi, on va manquer le père Noël ! » Bon, vous allez dire qu’il n’y a rien là, mais le problème c’est qu’il y avait Maxime Bouchard, juste à côté de moi. En entendant « père Noël », il a dit :
— Ha ! Ha ! Méline croit encore au père Noël ! Bébé lala !
Je suis devenue rouge comme la tuque du père Noël. Je me suis tournée vers eux et j’ai crié :
— Si le père Noël t’apporte pas de cadeaux, Maxime Bouchard, c’est pas parce qu’il n’existe pas, c’est parce que t’en mérites pas !
— T’aurais dû rester en maternelle, Méline Tremblay !
Tout le monde riait autour de lui. C’était trop. J’ai senti les larmes monter jusqu’aux coins de mes yeux. C’était plus fort que moi.
— LE PÈRE NOËL EXISTE ! OK ? ET JE VAIS LE PROUVER !
J’ai éclaté en sanglots. Je suis montée dans l’auto et j’ai claqué la porte. Papa n’a rien dit de tout le trajet.
À la maison, j’ai fait mes bagages en boudant, j’ai mis mon pyjama en boudant, je me suis brossé les dents en boudant et je me suis couchée… en boudant. J’avais envie de rêver au père Noël. Je sentais ma tête grosse comme un melon d’eau. Pleine de sanglots.
Ce matin, dans l’auto, je fais encore la baboune. Je le sais qu’il existe pour vrai, le père Noël, mais des fois, j’aimerais ça pouvoir en être vraiment certaine.
Soudain, papa arrête la voiture. On est à l’épicerie du coin, au coin de la route où il y a le feu jaune qui clignote. Papa me dit :
— Je vais acheter des petites affaires. Tu veux venir avec moi ?
— Non !
Il me regarde quelques secondes, l’air sévère.
— Tu es encore fâchée parce qu’un grand a ri de toi, ma Méline ?
— Non. Je suis fâchée parce qu’il n’y a pas de neige.
— Bon, ça suffit, arrête le boudin. Allez, viens !
— Non.
— Méline, fais attention ! Ce n’est pas parce que tu as du chagrin que ça te donne le droit d’en faire aux autres ! Le père Noël est toujours de bonne humeur, lui.
Pff !…
Quand il sort de l’épicerie, Papa porte un sac bien rempli dans ses bras. Il entre dans la voiture et le dépose sur le banc du passager.
— Qu’est-ce que t’as acheté ?
— Du sourire en conserve. Tu en veux ?
— C’est pas drôle !
Papa, lui, a l’air de trouver ça très drôle. Il attache sa ceinture en riant, allume le moteur en riant, et il se retourne vers moi, toujours en riant. Plus il rit, plus je fais la baboune.
— Accroche-toi vite un sourire et fais le plein de bonne humeur si tu veux supporter toutes les folies de ton cousin William !
Mes yeux s’ouvrent grand comme des deux dollars. D’habitude, avant de passer du temps avec William, nous faisons des réserves de sourires. Je l’adore mon cousin, mais il fait souvent des bêtises. Et là, avec les provisions de boudin que j’ai faites depuis hier, je ne suis pas certaine d’être capable de rattraper tout le retard !
— T’inquiètes, me dit papa, j’ai acheté des victuailles à sourires.
— Comme quoi ?
Papa me montre des boites de chocolats, des caramels et d’énormes cerises.
— Vite ! Il faut en prendre tout de suite !
Papa sort le plus beau chocolat de la boite.
— Attention, c’est une étoile filante !
Il la fait voler un peu partout. J’explose de rire, ça fait du bien ! Ça fait partir tout le boudin ! J’oublie le brun du paysage, j’oublie Maxime et les autres ; j’oublie mon chagrin. En mettant l’étoile filante dans ma bouche, je fais un vœu. « Je veux que le père Noël existe pour vrai… »

Un dessin de Laeticia Perron


Papa démarre la voiture. On file à toute vitesse vers l’endroit que j’aime le plus au monde : mon chalet ! Ma réserve de sourires augmente tandis que je pense à mon chalet en bois, avec un toit rouge, qui devient tout blanc quand il neige et où, c’est certain, le père Noël va venir me voir.
Onze heures et demie. Ça y est ! On y est ! Je lance ma valise dans un coin et je cours au salon pour aider papa à décorer le sapin. On chante à tue-tête ! « Sur le long chemin, tout blanc de neige blanche… »

Un dessin de Félixe Boudreault


Soudain, entre deux « vive le vent ! », j’entends le bruit d’un klaxon.
— Ils sont là !
Je cours vers la porte, j’enfile mes bottes, mon manteau, mon foulard… « Mets ta tuque ! » me crie mon père, et je sors sur la galerie pour regarder avancer la petite famille.
Dès que je mets le pied dehors, le cafard me reprend. Même la vue de ma tante qui marche sur la pointe des pieds en essayant de ne pas salir ses coquets souliers roses dans les trous d’eau n’arrive pas à me redonner le sourire. Un Noël sans neige… Wark ! Quoi de plus déprimant ? De plus épouvantable ? De plus catastrophique ! C’est comme une lune sans cratères, comme une soirée au chalet sans chocolat chaud, comme un matin de Noël sans bas de Noël à vider… OH NON ! Soudain, j’y pense : est-ce que le traineau du père Noël peut glisser dans la bouette ?

Un dessin de Romane Gagnon


Bon, je sais, ma tante Katia m’a déjà dit qu’il fallait dire « boue », mais moi je préfère « bouette ». Ça reflète mieux ce que je pense de cette substance brune et gluante, qui fait « smoc ! smoc ! » quand on marche dedans.) D’ailleurs, mon oncle et ma tante, qui avancent maintenant à pleins pieds dans la bouette, font entendre de magnifiques « smoc ! smoc ! ». William, lui, a décidé de rester dans la flaque d’eau. On dirait qu’il invente une nouvelle danse de la pluie ! Avec ses bottes, il fait de bruyants « slouch! slouch! », qui font jaillir d’immenses gerbes d’eau un peu partout autour de lui ! Au bout du compte, l’absence de neige a peut-être un certain charme ! Elle me permet d’assister au spectacle hilarant de la danse du « slouch! slouch! ». Mais ma tante ne semble pas apprécier le spectacle autant que moi…
— WILLIAM !
Elle s’avance rapidement vers mon cousin, en faisant « Smoc ! smoc ! smoc ! ».
— ARRÊTE ÇA IMMÉDIATEMENT !
William continue ses « slouch ! slouch ! ». Ma tante poursuit ses « smoc ! smoc ! »…
— WILLIAM ! JE T’AI DIT D’ARR… Aaaaaaah ! Smoc ! Sloch ! Slouch ! SSFFFLOOOOOOOUUUUUCH !
William s’est étendu de tout son long dans la flaque d’eau brune… Mon oncle, dans une colère terrible, l’agrippe de ses deux mains et le soulève dans les airs.
— JE T’AVAIS PRÉVENU ! PAS DE CADEAUX DEMAIN !
Oh ! Oh !… Ils ont l’air d’avoir besoin de vacances, mon oncle Claude et ma tante Katia. Moi, je reste sans bouger sur le perron. Je n’aime pas ça quand les adultes se fâchent trop fort… Pauvre William. Il est couvert de bouette de la tête aux pieds. On dirait qu’oncle Claude l’a trempé dans la fondue au chocolat.
Au souper, tout le monde a un peu retrouvé son sourire. William a pris un interminable bain. Claude s’est excusé d’avoir « dépassé les bornes » et William a promis de « respecter les limites ». On aurait dit un cours de conduite ! Moi, j’ai attendu la neige toute la soirée, les yeux rivés vers la fenêtre. Une fois dans mon lit, j’ai demandé à William :
— Crois-tu que le père Noël va être capable de se poser sur le toit du chalet même s’il n’y a pas de neige ?
— J’sais pas.
Pendant la nuit, je rêve à un drôle de lutin. Quand il s’approche de moi, je vois qu’il est recouvert d’une épaisse couche de boue séchée. Il me fait signe de descendre vers lui et, subitement, je me mets à rapetisser ! Le lutin se donne des petites tapes sur les joues et le masque de boue qui lui couvre la figure tombe en miettes. Mais… je le reconnais ! C’est mon cousin !
— Je suis William Premier, roi de la bouette ! me dit l’étrange petit bonhomme. Je suis venu répondre à tes questions. Premièrement : OUI ! le père Noël existe.
Je le savais !
— Deuxièmement : NON ! il ne viendra pas s’il ne tombe pas de neige cette nuit.
— Oh non ! Est-ce qu’il va neiger cette nuit ?
— ON NE S’ADRESSE PAS DE LA SORTE AU ROI !
— Dites-moi, Votre Majesté de la bouette, neigera-t-il cette nuit ?
Au lieu de me répondre, il se met à grincer des dents. « William ! Pourquoi est-ce que tu grinces des dents ? » William ne répond pas. Il n’arrête pas de grincer des dents ! Je me réveille en sursaut. William grince RÉELLEMENT des dents ! Oh ! Il fait déjà soleil ! On est le 25 décembre ! On dirait qu’il y a quelque chose de différent dans la lumière du matin. On dirait qu’elle est plus brillante… Je lève les yeux vers la fenêtre.
— WOUHOU ! De la neige !

Un dessin d’Alice Dufour


Je saute dans mes bas de laine, je cours vers la gigantesque porte vitrée qui donne sur le balcon, et c’est là que je les vois… Elles sont bien là ! Bien dessinées dans la neige : trois, quatre… non, CINQ traces de pas ! Les traces de bottes du père Noël ! Seul le père Noël, en descendant du toit, a pu dessiner des traces comme ça ! Je le savais, je le savais qu’il existait pour vrai !

Un dessin de Rosalie Dufour


William s’est levé lui aussi et regarde les cadeaux laissés sous l’arbre avec de gros yeux ronds. Soudain, il plonge dans le tas de cadeaux. Je le laisse nager parmi les boites, et je me retourne vers la neige, le regard absorbé par les traces de pas… William s’approche de moi en courant.
— Regarde Méline, j’ai eu un appareil photo ! Ça, c’est trop GÉNIAL !
Je souris et je lui dis :
— Regarde, William, le père Noël a laissé des traces de pas dans la neige !

Un dessin de Mia Gaudet


William y va d’un autre « OUAH ! » et, tel un reporter-photographe expert, il se met à prendre des photos des traces du Père Noël. « Clic » d’un côté, « clic » de l’autre… Avec ses photos, je les ai les preuves de son existence. Maxime Bouchard a tort sur toute la ligne ! À bien y penser, ça ne me dérange même pas s’il y a des gens qui n’y croient pas… Moi, je garde mes souvenirs tout près de mon cœur et je vais me le rappeler toute ma vie, mon Noël magique ; celui où le père Noël m’a laissé des traces de pas dans la neige.
Bas de photo
1) Méline souhaite plus que tout un hiver avec de la neige… et un Noël blanc! (Dessin de Rosemarie Méthot)
2) La famille réveillonnera au chalet. Est-ce qu’il y aura de la neige sur le beau toit rouge? (Dessin de Laeticia Perron)
3) Cousin William et ses parents arrivent au chalet. (Dessin de Félixe Boudreault)
4) Méline s’inquiète : « Est-ce que le traîneau du père Noël peut glisser dans la bouette? » (Dessin de Romane Gagnon)
5) Les traces de bottes du père Noël! (Dessin d’Alice Dufour)
6) La livraison de cadeaux a eu lieu sous le sapin de Noël. (Dessin de Rosalie Dufour)
7) William prend des photos des traces du père Noël. Méline gardera précieusement ses souvenirs de ce Noël magique. (Dessin de Mia Gaudet)

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