Chronique de Brigitte Lavoie: Désintox d'écrans

Par Lisianne Tremblay 9:03 AM - 17 novembre 2018
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Ce n’est pas facile de se priver des écrans.

Ça s’annonçait facile, puisqu’on s’imagine toujours moins pire qu’on l’est en réalité. La semaine dernière, il y a eu tentative chez nous d’ignorer les écrans entre 17 h et 20 h, dans le cadre d’un défi détox un peu obscur lancé par une entreprise de trucs et astuces familiales.
Enthousiastes, les idéalistes de la maison ont sauté dans l’aventure dès le lundi, bien décidés à vaincre. Ignorer les écrans pendant les trois heures de la routine des leçons et du souper s’annonçait facile.
Dès 17h30, légèrement anxieux devant le vide existentiel, notre cerveau s’activait à lutter contre le réflexe bien ancré de naviguer pour un oui ou pour un non. À 18 h, les jeux de société sont étalés sur la table. Le souper est plus long qu’à l’habitude et les convives, moins pressés. À 20 h, on allume la télé. Le jour 1 du défi détox est réussi!
Mardi… Quelques écarts. On se donne de nouveaux règlements. Il fallait bien retrouver sur le web la recette de boulettes au menu… Et pourquoi pas une petite chanson avec ça?
Mercredi, débandade pour la majorité des participants. La motivation est à son plus bas. Les écrans sont de retour au bout des doigts. Les opposants se tapent dans les mains devant la défaite et la participante la plus disciplinée de la famille juge les perdants avec dédain.
Quant au reste de la semaine… La routine sert l’oubli. Force est de constater que sans être les consommateurs de techno les plus accros de l’histoire, on sert assez bien la cause avec nos téléphones intelligents et iPod recyclés.
Il paraît que l’homme du 21e siècle a développé un sixième sens, le sens du numérique[1]. Si l’ouïe, l’odorat et la vue notamment nous renseignent sur notre environnement, le sixième sens numérique nous branche en continu sur la planète, nous informe sur l’état du monde.
Un sixième sens devenu indispensable pour plusieurs et qui suscite ce sentiment d’angoisse lorsque vous débarquez pour une fin de semaine de rêve dans un chalet en pleine forêt et que vous prenez conscience que votre téléphone est inutile. Ce néant de 36 heures est une privation sensorielle qui peut se comparer à traverser la rue les yeux fermés!
Parce que notre cerveau humain n’évolue pas assez rapidement pour traiter efficacement toute la masse d’information en continu qu’il absorbe dorénavant grâce à nos téléphones intelligents, notre sixième sens nous épuise. La mécanique du cerveau pour trier les infos est lourde et la surcharge est inévitable.
Au final, cette surcharge informationnelle alimentée par nos applications addictives peut même avoir une incidence sur la formation de nos souvenirs. Puisque notre attention est une ressource naturelle limitée, nous risquons de nous souvenir de la vidéo de panda plutôt que de l’histoire rigolote d’un ami.
Notre petit défi détox de la semaine dernière a beau être raté, je me souviens très bien de cette impression d’avoir du temps, à combler ou à perdre. Et aussi de cette sensation que notre attention était libérée, disponible pour fureter, comme lorsque vous attendez quelqu’un entre deux portes et que vous vous surprenez à lire les affiches. C’est aussi plutôt encourageant de prendre conscience qu’on peut remettre son téléphone intelligent à sa place, celle qui lui revient.
[1] Institut national de la santé et de la recherche médicale, Lyon. « Il est temps de décrocher! Comment vaincre la dépendance à son téléphone cellulaire », magazine L’actualité, août 2018.

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