Confidences orphelines

Par Emelie Bernier 2 juin 2016
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Le 20 mai, c’était l’anniversaire de ma mère. De sa mort, pour être plus précise. C’était en 1998. Et elle n’est pas morte de sa belle mort, si tant est qu’une telle chose soit possible. À 51 ans, elle est morte du cancer, une mort qui n’a rien de joli, qui vous efface petit à petit. Une mort qui vous gruge par en dedans jusqu’à ce qu’il ne reste plus que la peau et les os. Une mort laide.

Je vous épargne l’étalage de la douleur de ceux qui survivent à la mort d’une mère. On passe presque tous par là à un moment ou un autre. À moins que le destin s’enfarge et inverse le cours naturel des choses.  Dans le cas qui m’occupe, il était beaucoup, mais vraiment beaucoup trop tôt.

Ma mère n’a jamais connu ses petits-enfants. Elle n’a jamais mis le pied dans cette retraite convoitée où elle s’imaginait élever des Golden retrievers, jardiner, voyager, lire, se reposer, prendre des bains de soleil sur la plage de Saint-Jo… Enfin.

Si je raconte ceci aujourd’hui, c’est que ma mère est morte du cancer de la cigarette. En quelques mois à peine. Schlak. Un jour, le couperet est tombé : incurable. La cause principale? Un paquet par jour pendant 30 ans. Avec le café le matin en faisant les mots croisés. Entre deux patients (elle était infirmière) ou deux services au resto (elle était aussi restauratrice) ou deux clients à la boutique (elle était brocanteuse et trippait sur les belles affaires). Après le dîner. Durant la promenade avec le pitou de la maisonnée. Sur la galerie entre chien et loup. Avec le petit verre de vin.  Devant la télé. Avant de se coucher. Et rebelote le lendemain. Pendant 30 ans.

Même gamine, je haïssais la cigarette, comme si je savais d’emblée qu’elle me déroberait ultimement ce que j’avais de plus précieux.

Combien de chicanes j’ai eu avec ma mère à propos de l’infâme.  Quand elle fumait dans la bagnole même si elle prenait le soin de toujours ouvrir la fenêtre, je râlais. Bon Dieu que ça puait. Je respirais par la bouche, dans la laine de mes chandails… Je me chipais une branche de lilas ou de quelque fleur odorante selon la saison pour me ficher les deux narines dedans.

Mon instinct me soufflait ce que la vie allait me confirmer de la plus cruelle des façons. La fumée de cigarette pue la mort.

Alors permettez-moi de me réjouir devant cette nouvelle règlementation qui interdit de fumer dans les voitures quand des enfants de moins de 16 ans s’y trouvent. Qui interdit de fumer près des écoles, des garderies, dans les parcs, sur les terrains de tennis. Qui interdit de fumer sur les terrasses, dans les aires communes, dans les camps de vacances, les terrains de jeux. Même si certaines de ces contraintes n’ont que peu d’allure du point de vue de l’application,  en 3 mots : il était temps. Mais si vous voulez mon avis de radical anti-tabac,  ce n’est pas encore assez.

Tout le monde sait que la cigarette est mauvaise pour la santé. Et pourtant, autour de moi, tout le monde fume! Mes amis les plus chers fument. Ça me fait une peine immense. Je leur assène mes remontrances de temps en temps, mais je connais la puissance de la dépendance et je sais bien que leur décision de cesser de s’empoisonner ne peut venir que d’eux-mêmes. Desfois, je l’avoue, je leur botterais le c…  tellement ça m’indigne de les voir s’auto saboter de la sorte. Ils le savent et se reconnaîtront. Sachez que c’est juste de l’amour.

Puis je me rappelle: ma mère diaphane, à moitié effacée et qui, même branchée sur sa machine à oxygène, avait encore cette pulsion incontrôlable, ce profond besoin d’en griller une, plus fort qu’elle et que la peur de la mort. Et je me dis qu’au fond, mes amis sont comme elle. Prisonniers. Accros. Dépendants d’un poison légal. Mais ils sont en vie, et j’aimerais tant qu’ils le restent.

Puisqu’on sait ce qu’on sait, pourquoi ne fait-on pas plus? S’il y a quelque chose qui fait consensus, c’est bien les effets néfastes de la cigarette! Oui, oui, bien sûr, vous avez tous un oncle déculpabilisant qui a fumé 3 paquets par jour et qui est mort à 100 ans en s’enfargeant dans ses pantoufles! Mais la vérité, la vraie, au-delà des exceptions,  c’est que la cigarette est mortelle.  Pas que je veuille vous faire peur (bon, enfin, un peu), mais la statistique le dit : le tabagisme cause 1 mort toutes les 6 secondes dans le monde, soit environ 6 millions par an. Si la horde des fumeurs persiste et signe,  ce sera 10 millions de morts par an à partir de 2020. Le tabac, qui a fait 100 millions de morts au XXe siècle, pourrait en faire 1 milliard au XXIe siècle. Les décès dus au tabac pourraient atteindre 8 millions par an en 2030. (source : http://www.planetoscope.com/)

Quand vous aurez la pulsion irrépressible d’en fumer une autre, pensez à Nicole. À Pierre, Jean ou Jacques, Sophie, Anne ou Josée.  Pensez à vous et à vos rêves qui s’éteignent un petit peu plus à chaque fois que vous allumez.

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