Je ne suis pas Jeff

Par Emelie Bernier 2 mai 2016
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Ceux qui lisent ce petit rectangle plein de mots de temps en temps se doutent bien que mes allégeances radiophoniques ne vont pas vers les radios X de ce monde. Comprenez bien : je n’ai rien contre les grandes gueules.  Tant que ce qu’elles jappent n’est pas complètement dépourvu d’humanité.  Jeff Fillion ne se qualifie malheureusement pas dans cette catégorie-là.

Au nom des côtes d’écoute, pour le seul plaisir bien solitaire de provoquer, Fillion jappe méchant. Il jappe sans cœur, raciste, sexiste, homophobe, name it. Ce n’est même plus de l’irrévérence, c’est du fiel pur. Du carburant pour la haine et les préjugés. De grands coups de pelle qui creusent allègrement des fossés entre les humains. Des  serres d’aigle qui déchirent  un tissu social ô combien fragile.

Si on le prenait au pied de la lettre, on éliminerait l’aide sociale et au passage ses bénéficiaires. On fermerait les frontières aux immigrants. On truciderait ceux qui tiennent les rênes du pouvoir. Et on coulerait l’Ile de Montréal sans même prendre le temps d’évacuer les insulaires, en faisant surtout gaffe qu’il n’y aucun survivant de la « clique du Plateau ».

On a condamné des gens pour incitation au génocide. Pourquoi Jeff Fillion s’en tire avec des suspensions, voire un congédiement, quand on sait très bien qu’il va rebondir et toujours trouver une nouvelle façon de polluer les ondes?

Encore une fois, «Jeff » s’est fait montrer la porte. Cette fois, parce qu’il a tourné en dérision le témoignage bouleversant d’un homme qui a perdu son fils de 14 ans par suicide. Ouf. Si ça, ce n’est pas dépasser les bornes, il n’y a plus de borne qui tienne.

A-t-on le droit d’être méchant à ce point? ON ne badine pas avec la mort.

Le rapport L’information à Québec, un enjeu capital, de la chercheure Dominique Payette tire à blanc sur les « radio-poubelles ». Le travail de Mme Payette a fait l’objet de bien des critiques et autant de quolibets. On a largement pointé du doigt ses accointances avec Pauline Marois. Peut-être et même probablement qu’il s’agissait d’un cadeau d’une pm déchue à une candidate jamais élue.  Son travail n’en tirait pas moins quelques conclusions éclairées sur le phénomène intitulé plutôt joliment « radio de récrimination et de ressentiment ».

« Il est aussi plus rentable — parce que plus spectaculaire — de favoriser des positions polarisées et alarmistes sur tous les sujets, même si cela suggère qu’il n’y a de position possible que dans les extrêmes et non pas sur tout le spectre des opinions », peut-on lire dans le rapport qui juge aussi sévèrement les diffuseurs que les animateurs auxquels ils donnent l’entière liberté de parole.

« Il est paradoxal également d’accepter dans les radios de la région un niveau de violence verbale qui serait jugé intolérable — et ne serait pas toléré — partout ailleurs dans la société », y lit-on encore.

Mme Payette va plus loin en comparant à de l’intimidation certaines pratiques des animateurs de « radios poubelle ». « Certains propos tenus en ondes à Québec constituent en pratique du bullying. Insultes personnelles, transformation des noms de famille en propos grossiers, etc. Ce que l’on cherche à éviter dans les cours de récréation, on le tolèrerait donc sans problème sur les ondes radiophoniques? », questionne-t-elle à juste titre.

Jeff Fillion fait son pain et son beurre de l’intimidation. Son public composé majoritairement de « angry white men », selon l’impression consacrée, le porte aux nues et boit ses propos comme du petit lait. Son commentaire baveux et les émoticônes à lunettes largement déplacés dans un contexte de deuil d’un enfant par suicide lui ont peut-être valu un congédiement de Bell médias, ce n’est certainement pas ça qui va l’arrêter… En fait, la seule chose qui pourrait mettre un frein à son élan, c’est qu’on cesse de l’écouter. 

« En politique comme dans les médias, il est impossible d’échapper à la responsabilité pédagogique. Il faut choisir : former des citoyens responsables et cultivés ou conforter des consommateurs ignorants et apathiques. » Bernard Émond, Il y a trop d’images, Lux 2011

Pour consulter le rapport Payette: http://bit.ly/1MBNs6P

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