Viril, avec un coeur

Par Emelie Bernier 4 février 2016
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Qui est viril? L’armoire à glace tendance « douche bag » bariolée de tattoos qui « frappe sa femme, mais flatte son char » (dixit Richard Desjardins) et ne pleure jamais sauf quand, rarement bien sûr, il daigne hacher un oignon? Que nenni!

Afin de pondre son essai philosophico-socio-inspiré « Je serai un territoire fier et tu déposeras tes meubles »,   l’auteur et comédien Steve Gagnon a sondé de façon plus intuitive que scientifique plusieurs jeunes du secondaire sur le thème de la virilité. Bien sûr, son « enquête » a démontré que les modèles « Steven Seagal» et « Vince Diesel » sus décrits incarnent pour plusieurs la forme de virilité la plus évidente, bien que stéréotypée à outrance. Par contre, lorsqu’invités à choisir un modèle de virilité entre un beau gosse célibataire aux pieds duquel s’amoncellent les filles pâmées ou un bon père de famille fidèle comme un golden retriever et jardinier à ses heures, 92% des jeunes ont choisi le second candidat… Comme quoi!  

La société met beaucoup de pression sur le dos des mâles. Ils doivent être grands, forts, pourvoyeurs. Ils ne doivent pas se laisser aller à l’émotion, car sur le roc de leur fierté s’appuient le « reste » de la société. La vulnérabilité n’est pas féminine qu’en genre…

«Ce qui m’a troublé, c’est de percevoir combien l’influence des modèles masculins que nous imposons aux garçons est forte et appuie violemment contre leur instinct, plus ouvert qu’on pourrait le croire. (…) Admettre que tu ne corresponds pas au modèle, c’est une chose. Sentir que, parce que tu n’y corresponds pas, on doute de ta valeur en tant qu’homme et de ton orientation sexuelle, sentir que des gens n’assumeront pas de se tenir avec toi parce que tu ne corresponds pas au modèle, c’est lourd de conséquences ! », écrit Steve Gagnon. D’où le déséquilibre, le mal être et l’impression de ne jamais être à la hauteur que ressentent parfois les XY.

Ce mal être existe sans l’ombre d’un doute, puisque sur 100 personnes qui mettent fin à leur jour de façon volontaire, 75 sont des hommes. Et pourtant, ils ne font pas la file au CLSC ou auprès des organismes communautaires comme le Centre prévention suicide ou le SHIC.

« Ceux qui se souscrivent aux normes de la masculinité traditionnelle nient leur souffrance et leurs faiblesses, restent en contrôle, se sentent invincibles, sont indépendants et stoïques. Demander de l’aide pour un problème d’ordre physique ou mental n’est donc pas une option pour ces messieurs », peut-on lire dans une méta-synthèse orchestrée par l’organisation Profil  et qui s’est penché sur le rapport des hommes aux services de santé (http://prof-il.org/rapport-hommes-aux-services-sante/) en colligeant des données à partir de 65 études.

Pour une grande partie de la gent masculine, demande de l’aide est un signe de faiblesse. D’où l’importance pour les proches, le milieu amical et professionnel, d’être à l’écoute et de pratiquer la politique de la main tendue. Les hommes auront tendance à attendre la dernière minute, l’extrême souffrance presqu’irréversible avant de lâcher un timide SOS qui réclamera une aide immédiate. D’où l’importance d’être là et d’entendre cette détresse, d’y réagir promptement et sans délais. Car détresse et patience n’ont jamais fait bon ménage…

En cette semaine nationale de prévention du suicide, il faut dire à nos hommes qu’ils ne doivent pas être gênés de pleurer, qu’ils ont le droit d’avoir marre d’essayer de rentrer dans les cases où on tente de les confiner, qu’il est sain d’en avoir ras-le-bol, salutaire de demander de l’aide. Il faut leur dire que leur souffrance n’est pas une maladie honteuse, qu’elle est humaine. Il faut leur dire « t’es important pour moi ».

« À cette époque où tout est possible, où tout est accessible, il est de l’ordre de la barbarie de faire croire à de jeunes hommes qu’il n’y a qu’une seule petite voie étranglée que l’on peut emprunter. Il faut maintenant leur dire qu’il n’y a plus de limites, leur dire de contourner les chemins incultes mal déblayés par ceux avant nous. Il faut mettre en tas toutes nos vieilles références, tous nos anciens codes et allumer de grandes torches pour les réduire en cendres. » Steve Gagnon (extrait de Je serai un territoire fier et tu déposeras tes meubles)

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