Paris tristesse, partie 1: Le pire et le « plus pire »

Par Emelie Bernier 25 novembre 2015
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Je filais le parfait bonheur en cavale loin de mon ordinateur, de ma pile de paperasse, de mon ménage pas fait et de mon linge pas lavé. Je sacrais mon camp de chez nous dans l’allégresse, les gamins sur la banquette arrière, le chum au volant, des tapis de sol et des sacs de couchage dans le coffre avec le vin et les victuailles. La musique au plancher vers la frivolité des retrouvailles amicales, d’un show de rock de garage acadien et des jours sans tâches.

Évidemment, comme on ne coupe jamais complètement le cordon, j’avais mon téléphone intelligent. C’est là, entre Saint-Romuald et Beaumont, que j’ai vu les premières bribes de Paris. Que l’horreur s’est amplifiée d’heure en heure jusqu’à ce que mes yeux piquent et que je n’aie plus qu’une envie : retourner à mon bonheur en cavale comme si tout ça n’était qu’un cauchemar inventé par le Navet, le Journal de Mourréal ou The Onion. J’ai essayé tant bien que mal de regarder ailleurs, quelques heures, le temps de savourer mon bonheur. Mais la trêve n’a été que de courte durée…

Aujourd’hui, alors qu’on connait dans le détail le bilan du carnage, qu’on a vu les visages des morts et lu leurs histoires, que le revanche gronde, tonitruante, force est d’admettre que c’était la triste, triste réalité.

On croyait avoir tout vu. Quelle utopie. On croyait être à l’abri. Quelle nonchalance. On croyait qu’on vivait dans un pays civilisé. La preuve du contraire ne cesse de s’étaler publiquement, sur les réseaux sociaux, sur les ondes des radios, en banderoles hostiles sur les viaducs… Depuis l’hécatombe de Paris, la haine a grimpé d’un cran, s’est exacerbée. Aux quelques voix qui s’élevaient timidement contre l’accueil des réfugiés syriens au Québec et au Canada, marginales jusque là, se sont ralliées des milliers de voix qui parlent de plus en plus fort. Quelques pétitions circulent sur le site Pétitions 24.net dont une,  Non à l’immigration des 25000 réfugiés, qui a récolté plus de 70 000 signatures. Et une autre, bourrée de fautes, dont le texte donne envie de changer de nationalité. « Les canadiens  et  canadiennes  ont  peur de leur securite  ce qui sest passer a paris  le terrorisme  doit pas  venir  jusuquau canada  je demande a monsieur le premier ministre du canada  de stopper les immigrants  syrien   je demande aussi au ptemier ministre du quebec  philippe  couillard  de  stopper  aussi », sic, sic et re-sic. Sick.

Pour ma part, je signerais plutôt celle-ci : Échanger les canadien (sic) qui refusent les syriens dont le texte, mi-sarcastique, mi-caustique, me touche davantage, bien que pas tout à fait grammaticalement impeccable. « Nous demandons au gouvernement canadien d’échanger les signataires de la pétition en faveur de l’abolissement du programme d’immigration de réfugiés en provenance de Syrie contre ces réfugiés. Simplement pour des raisons de sécurité nationale, et car les personnes qui ont signé cette pétition ne mérite (sic) pas de vivre dans ce beau pays qu’est le Canada. Nous allons donc sauver 25 000 personnes, et se débarrasser de 25 000 personnes qui empêchent le Canada d’avancer. »

J’ai lu des dizaines de textes de médias des quatre coins du monde pour tenter de me faire une idée claire sur ce que je pense de Paris, des réfugiés, de l’État islamique, de la guerre imminente, des racistes, des intolérants, des fanatiques, peu importe à quelle enseigne ils se logent. Je ne suis que plus confuse. Plus effrayée aussi. Même si je ne veux pas céder à la peur, elle s’insinue.

Quand j’étais « fille », comme disent nos grands-mères, j’ai voyagé légère avec mon baluchon et ma naïveté. Libre de toute inquiétude devant mon prochain, confiante en l’Autre avec un grand A. Après Paris, après Beyrouth, je fais le deuil de cette innocence, comme la France, le Liban, la Syrie font le deuil de leurs morts.

Oui, la vie continue et il y aura toujours de quoi rire et sourire. Mais le monde va mal et nous en sommes.

« Se refuse-t-on de voir le monde autrement que dans la continuité de ses apparences ? », demande Jean François Nadeau. Je pense qu’il faut ouvrir les yeux.

À suivre.

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